Putain, mais c'était quoi ce bordel ? Rah, je me souviens pas avoir picolé pourtant ! Merde, puis j'ai un fichu mal de crâne... Il s'est passé quoi à la fin ? Je naviguais sur des flots aussi noir que la nuit, je compris finalement que j'étais inconsciente. « Sa » voix envoûtante me le murmurait. Celle-ci faisait longuement écho dans mon esprit embrumé. Peu à peu, la mémoire me revenait sous forme d'images. Je me revoyais m'élever au dessus du sol et déployer une énergie dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Sérieux, c'était moi qui avait déclenché tout ce bordel ? J'y crois pas, même inconsciemment j'arrivais à emmerder mon monde. Bon, je vous l'accorde, c'était très moyen comme façon de faire. Aussi, je ne suspectais même pas ce que j'avais déclenché comme cataclysme.
Ça craint. Mary Red, la légendaire femme pirate dont j'avais reprit le nom et le prénom essayait de communiquer avec moi, mais je captais que dalle ce qu'elle voulait me raconter.
Juste qu'elle désirait aussi s'amuser. Hein ?

Péniblement, ma tête se tourna à gauche, puis à droite, comme si je luttais contre un mauvais rêve. C'était pas loin de la vérité. Mes yeux papillonnèrent sous l'effet de la lumière trop intense. Une forte odeur de plantes me fit plisser le nez. Oh my god ! Pouah ça pue ce machin là ! D'une manière abrupte, je me redressais sur un coude tout en me tenant la tête. C'est que ça cogne fort là dedans. La première chose que je vis fut Mélisandre. Vu sa pâleur extrême, je sus bien vite qu'elle avait essayé de me redonner de la vitalité. Un goût légèrement sucré sur mes lèvres me fit hausser un sourcil.

« Tu m'as fais du bouche à bouche !» m'exclamais-je d'une voix qui ne m'appartenait pas.

Choquée moi-même, je me rendis compte un peu tard que l'esprit de la redoutable pirate guidait mes gestes : en témoignaient mes deux yeux devenus aussi gris que la mer en pleine tempête. Je tâchais de reprendre le dessus sur elle, mais ma « mère spirituelle » en décidait autrement. Puis j'étais trop hébétée pour reprendre le contrôle.
Plongée dans une semie-transe, il me faudrait encore quelques instants pour sortir la tête hors de l'eau. Pour l'heure, je restais en retrais. Mon visage s'approcha de celui de la Monarque des Mers, m'arrêtant qu'à quelques centimètres, je pouvais sentir son souffle chaud contre mes lèvres entrouvertes. Elle aussi, devait sentir les effluves de mon parfum.

« Tu sais que tu es plutôt séduisante sans ton affreux masque ?» lui murmurais-je de cette même voix de cristal en lui soulevant une mèche brune pour souffler dans son oreille. Subitement, sans crier gare, je l'a saisis par la gorge, plongeant un regard glacé dans le sien.«Ne t'avises jamais plus à me toucher sans que je t'y invite. Est-ce clair ma belle ? Ça ne t'as pas effleuré l'esprit que Satine même inconsciemment, voulait mourir ? Pauvre sotte...»

Je crachais par terre un peu de sang afin de ponctuer mon dialogue cinglant. D'un revers de main, j'essuie la commissure de mes lèvres. Le tournis me prends encore. Je l'empoigne de nouveau pour écraser mes lèvres sur les siennes. Ma langue força cette barrière avec aisance, s'en suivit un manège suave. Sauvage. Sans ménagement, je mords sa lèvre inférieure. Le goût de son sang était délectable.

« You know, I'm a pirate. Mary Red is my name. And your blood is delicious Mrs Mélisandre... This is a real kiss, dudette !»

Je l'a lâchais dédaigneusement pour pincer l'arête de mon nez. Me pourléchant les lèvres goulûment, je finis par remarquer enfin la présence de ce qui devait être mon prince charmant. Faisant semblant de me trouver mal, je laisse échapper un soupir pour me laisser tomber sur lui. Quand mes yeux s'ouvrirent de nouveau, je me perdis un temps à contempler ce visage juvénile et sans défaut. Le doux parfum qui l'embaumait me fit réellement du bien. Mais Mary voulait encore jouer l'une de ses comédies. Distraitement, ma main attrapa l'une de ses mèches écarlates. Songeuse, je lui dis d'une voix suave mais faible.

«Preux chevalier d'or, que s'est-il donc passé ? Je... tout est flou dans ma tête... je... est-ce moi qui est provoqué tout ça ? Y'a t-il eux des victimes ?»

Mon corps fut parcourus d'un frisson, instinctivement, je me blottis davantage dans ses bras, cherchant à me draper de sa cape immaculée. Ma tête reposa contre son plastron.

«J'ai froid» fis-je en entourant mes bras autour de moi.

C'était très mauvais signe. Je sentais une odeur de mort planer non loin. Mais je n'avais pas la force de faire quoi que ce soit. Mes yeux se perdirent dans le vague, ceux là reprirent leur ancienne teinte de jade. D'un coup, j'ai l'impression qu'un coup de tonnerre me traverse.

« Putain de merde, par les Sept Mers ! J'ai tué votre Grand Pope !»

Et tandis qu'il prêtait assistance à la jeune femme, un timbre familier retentit à ses oreilles. Cette voix trouva un écho dans les méandres de son esprit embrumé, se dit-il après s'être saisi du remède. Il l'avait déjà entendue il y a de cela plusieurs années, mais il avait tant changé depuis cette lointaine époque que c'était à se demander comment elle avait pu le reconnaître. En dépit de la gravité de la situation, il la gratifia d'un pâle sourire pour lui faire savoir que ce sentiment était partagé. Mais pour l'heure, il lui fallait s'occuper de la demoiselle avant que son état n'empire s'il était susceptible de le faire. Son regard azuréen resta un long moment rivé sur le cadavre de Fawn, sous l'emprise d'une fascination morbide. Quels que soient ses efforts, il ne parvenait toujours pas à y croire. Ce n'est qu'avec le départ du Bélier qu'il réussit enfin à s'en détourner. Ce dernier lui avait fait une demande qu'il lui faudrait honorer.

Compte sur moi. 

Le pouvait-il vraiment ? Là était la question. L'empoisonneur n'avait point de raison de rejeter la demande de son frère d'arme, mais ne se sentait guère en mesure d'assumer cette fonction dans l'immédiat. Il se ferait pourtant violence s'il le fallait. L'avenir du Sanctuaire en dépendait. Celui-ci avait déjà suffisamment souffert que pour éviter que pour ne rien laisser au hasard. La négligence serait leur pire ennemie, car elle pouvait leur être fatale. Celsius n'allait pas se mentir : l'état d'inanition de la Sirène Maléfique tombait à point nommé. Cette pensée lui donnait le curieux sentiment de se servir d'elle, sans que ce soit véridique. Il lui aurait porté secours dans tous les cas, mais devoir le faire à cet instant retarderait d'autant l'échéance. Celle qui le verrait franchir le seuil du Temple du Bélier dont il avait temporairement la garde pour être confronté à un monde qui lui apparaissait plus hostile que jamais.

Aussi n'aurait-il pas à aller plus loin. Ses jambes refusaient de le porter. À peine fut-elle remise de ses émotions qu'elle rendit à Mélisandre la monnaie de sa pièce, qu'importe que ce ne soit qu'un simple accident. Le Chevalier des Fleurs se félicita de s'être tenu à bonne distance et de ne s'être approché d'elle qu'après qu'elle ait recouvré une once de lucidité, quand bien même il n'en pouvait rien savoir. Mais c'était sans compter avec ce brillant jeu d'acteur qui la fit se jeter dans ses bras dès qu'elle eut fini de régler ses comptes. Le Saint des Poissons faillit se dégager par réflexe mais n'en trouva pas la force. N'avait-il pas, lui aussi, mérité un peu de repos ? Lui non plus ne put s'empêcher de passer les doigts dans cette chevelure si semblable à la sienne, comme pour vérifier que la texture en était également identique.

Cette cape qu'elle semblait convoiter, il lui offrit sans hésitation, mais pas sans s'être assuré au préalable qu'elle ne comportait aucune tache de sang. De trop nombreuses pertes étaient déjà à déplorer, il aurait été mal avisé de lui faire malgré lui un cadeau empoisonné – car force était de constater que le terme ne revêtait jamais autant de sens qu'à son propos. Dès qu'il eut pris soin de séparer la pièce d'étoffe de son armure d'or, il l'en revêtit et l'aida à s'y envelopper. Un moyen dérisoire de se réchauffer compte tenu de son peu d'épaisseur, mais il n'avait fait là que lui donner satisfaction. Pour la porter depuis des mois - si ce n'est des années - le parfum fleuri qui semblait tant plaire à la générale devait s'y être imprégné. Son regard se fit brumeux tandis qu'il scrutait sans la voir la blancheur immaculée du tissu précieux.

Ce n'est rien. C'est fini à présent.

À quoi bon en porter la culpabilité sur ses frêles épaules ? Elle n'était en rien responsable. Nul n'aurait pu en attester mieux que lui. Pour le peu qu'il avait pu voir d'elle, Mary était loin d'être sans défense. Pourtant, à cet instant, elle était on ne peut plus vulnérable. Peut-être n'était-ce qu'une comédie, et peut-être n'était-ce qu'elle qui essayait de s'en convaincre. Le Sanctuaire venait d'entrer dans un âge de terreur. Celsius ne s'embarrassa donc pas de questions futiles et prit le parti de croire que tout le monde avait besoin de réconfort en ces heures sombres. Il passa donc autour de sa taille un bras protecteur, non sans hésitation. Il n'était pas familier de pareil geste, aussi n'était-il que peu à l'aise dans son exécution.

Cette étreinte finit néanmoins par se faire plus assurée, au point même qu'il regrette que les armures fassent obstacle à une chaleur humaine qu'il aurait eu grand besoin de sentir. Lui qui se privait de chaque contact, de son plein gré mais non sans regret, devait bien avouer avoir cette fois besoin de transiger avec sa solitude. Une présence à ses côtés ne serait pas de trop pour lui faire accepter tout ce qu'il venait d'apprendre. Et puisqu'elle avait jeté son dévolu sur lui, il n'y avait aucune raison qu'il n'en fasse pas autant. Ils avaient plus en commun que le Roi des Ronces s'en serait douté au premier abord, il le sentait distinctement à présent. Peut-être que c'était là ce qui l'avait convaincu d'abaisser pour un temps les barrières de glace dressées autour de son coeur.

Depuis combien de temps n'avait-il plus serré quelqu'un dans ses bras ? Cela remontait sans doute déjà à plusieurs années. Triste constat qui ne fit que l'inciter à prolonger ce contact. À le faire durer à défaut de savoir quand il pourrait à nouveau se le permettre. Celsius avait perdu toute envie de se battre. De continuer à aller de l'avant. Pas un seul instant il n'aurait dû se montrer plus fort qu'à présent mais il en était incapable. Qu'il ait été incapable de sauver le Grand Pope n'avait été que le summum de son inutilité. On lui demanderait sans doute de se prononcer en faveur de l'une ou l'autre Athéna mais il ne s'en sentait pas la force. Il n'avait pas le droit de rester ici alors qu'au dehors, tout était sur le point de se déliter. Et pourtant...

Oui... Tout est fini.

Dans l'ombre, il observait le ballet qui s'organisait dans le Grand Hall du temple du Bélier. Aucun mot, aucun son, il était en train d'assister à cette scène surréaliste quand une voix résonna dans son esprit de façon impérieuse. Hochant la tête, le jeune homme laissa les affaires du temple pour se diriger vers l'entrée du sanctuaire. Chacun des ses pas marchait sur cette fine couche de givre qui recouvrait des filaments pourpres emprisonnés entre les arrêtes des dalles. Cruelle sensation que voilà finalement, il était venu ici pour servir et n'avait juste été... utile à rien. Le poing serré, l'air chaud du dehors raviva un instant ses joues et il rapprocha ses deux paumes l'un en face de l'autre pour créer une sphère de lumière bleutée.

Son cosmos luisait doucement sur ses épaules. Entre ses doigts, l'image d'une ombre apparaissait au sein de l'orbe, les reflets du soleil révélèrent alors l'identité de l'inconnu. Alors qu'il s'apprêtait à se retirer, sa tête se retourna pour voir l'un des généraux de Poséidon en train de partir en compagnie des deux chevaliers noirs. L'un d'entre eux n'était guère en état de pouvoir répondre dans l'instant à toutes les questions qu'il se posait, mais, ses prunelles exprimèrent pour la première fois de sa vie une certaine animosité envers le responsable de tous les malheurs de cette terre. Il avait entendu bien des raisons sur leur présence mais pourquoi agir de la sorte quand on estimait être dans son bon droit ? Pourquoi verser le sang ? En observant le chevalier du Verseau encore en train de combattre le chevalier noir du Lézard, il comprit que cette histoire ne faisait que commencer et bien des hommes et des femmes avaient été blessés sinon tués sans comprendre pourquoi.

Son maître lui avait donné des ordres clairs et le sable dans l'horloge du temps continuait son chemin. La flamme du taureau semblait s'épuiser déjà de tout cela et il se demandait où le danger pouvait se tapisser. Les combats semblaient s'arrêter un peu partout, chaque chevalier récupérant un peu de ses forces après des heures aussi difficiles entre le vrai et le faux. Qui avait donc raison ? Le Pope, Athéna, Poséidon... Il n'en savait rien lui même et la décision de Maître Shion prenait toute son importance, si le destin avait choisi pour lui une voie, lui avait aussi la sienne. Dans un souvenir fugace, comme sortant d'un lourd brouillard, il se rappela du cri de la Dame de la Sagesse provenant de son temple sacré. Deux Déesses ? Deux choix ? Il allait devoir se préparer lui aussi à ce choix et séparer le bon grain de l'ivraie en ces heures sombres.

C'est alors que la responsable de tout cela se réveilla pour devenir une bête de foire digne de la Comédia del'Arte ! Le regard azuréen du jeune homme devint plus froid et glacial, pendant un bref instant, les ombres dansèrent autour de lui pour se lancer sur elle comme sur une proie bien facile à prendre. Sur son torse, entourées de lanières, le livret de cuir de son père qui réchauffait son torse avait en lui l'ultime technique de sa famille. Ce pouvoir était le fruit de l'amour entre sa mère et son père, elle était le dernier souvenir d'une période révolue et la raison lui commanda de ne pas mettre en lumière cette arcane seulement connue de lui et de son père. Cette jeune femme à la chevelure de feu payerait ses propres fautes par elle même, on ne jouait pas impunément avec des pouvoirs interdits sans le payer un jour d'une manière ou d'une autre.

" Maître Dohko ! Je vous ressens enfin.... "

Dans un dernier effort, la petite orbe entre ses mains s'agrandit pour l'envelopper totalement, il disparut de la vue de tous les membres de l'assistance sans dire un mot de plus...

Entrée du sanctuaire ~ PV avec Dohko

Tandis qu'elle rejoignait son bien-aimé, perdue dans ses songes, la belle prêtresse d'Avalon fut comme foudroyée. Un mauvais pressentiment l'obligea à s'arrêter net dans sa progression. Fort heureusement pour elle qu'une accalmie était à l’œuvre. Seulement, la tempête éclatait ailleurs. Son cœur et ses pensées se tournèrent immédiatement vers sa sœur de cœur, Leene.
Quelque chose n'allait pas. On venait d'altérer le cours des choses. Arracher l'âme d'une mère. Bien avant que l'oiseau obscur, familier de la sorcière n'arrive à elle, Aalanna savait exactement de quoi il en retournait. Managarm avait été enlevé à sa mère. D'un geste d'invitation, la jeune femme exhorta le corbeau d'ombre à se poser sur son avant bras. Il prit le temps de replier ses ailes avant de transmettre son message par la voie de la pensée. Les yeux azurs de la druidesse s'agrandirent d'effroi. Elle avait vu juste. Éperdue, partageant l'immense désespoir de sa précieuse amie, Aalanna tourna un visage désemparé vers son époux. Lui, mieux que quiconque pourrait comprendre cette douleur insupportable.

Mais comment trouver la force de lui dire ? Secrètement, elle espérait qu'une fois encore il parvienne à lire dans son esprit, comme il le faisait si souvent. Car les mots restaient inéluctablement coincés dans sa gorge. Une forteresse infranchissable. Mais que faire ? Ils s'étaient engagés tous deux à suivre le maître des flots. Mais depuis le début, elle, avait la désagréable impression de n'être que spectatrice. Cela lui était insupportable ! Non, elle ne pouvait la laisser seule ! Pas dans une telle situation. Secouant énergiquement la tête afin de se ressaisir, Aalanna prit avec douceur les mains de Serafim. Résolue, elle déclara d'une voix forte alors que le messager se posait sur son épaule.

« Mon amour, Leene et Sköll courent un très grave danger... quelqu'un … ô je n'ose y croire ! On leur à arraché leur unique enfant Serafim !» -parvint-elle à articuler. « Je ne peux me résoudre à la laisser seule dans cette épreuve. Lune de mes jours... je veux aller les aider.»

Ses convictions étaient inébranlables. Malgré son rang et ses devoirs, Aalanna faisait fi de cela, préférant écouter la voix de son instinct de mère. Le Roi Llyr serait aussi à même de comprendre son choix. Depuis toujours, le Dieu s'était montré prévenant, sage et paternel. Il n'y avait plus d'hésitation. Elle devait y aller. Un peu peinée de le laisser seul, la Dame de l'Aube s'approcha davantage du jeune homme pour aller déposer ses lèvres contre les siennes.

« Je ne serais pas seule, Antiokus me rejoindra. Promet moi de ton côté d'être prudent, et de représenter à ma place notre peuple. Rwyf wrth fy modd i chi gigfran dyn, bydd fy nghalon fod gyda chi am byth. I rejoindrais yn gyflym.»

Après une dernière étreinte, la jeune femme parut communiquer un bref moment avec le volatile au plumage sombre avant de le laisser s'envoler dans le ciel. Il était temps de s'envoler à son tour. Écartant les bras en croix, la jeune femme tourna son visage vers les cieux, les gouttelettes d'eau s'écrasant une à une, lui faisaient beaucoup de bien, dispersaient les brumes de son esprit. Calme, Aalanna lança son appel. Sous la peau de son dos, quelque chose commença à remuer. Bientôt, surgirent de cette fine membrane, deux belles ailes encore maculées de sang. D'or, elles brillaient doucement sous ce pâle ciel obscurcit. Pour se débarrasser des dernières impuretés, elle vrombirent comme les ailes des libellules. Un dernier regard vers Serafim, et elle s'élança, majestueuse.

La représentante d'Avalon était en chemin pour Venise. Là où elle rencontrerait les ombres.

Cette constatation passée, encore toute emmitouflée dans la cape fine et immaculée du Chevalier d'Or, je songeais à mes précédentes paroles et pensées. Non contente de voir l'âme de la femme pirate la plus sanguinaire de tout les temps converser avec autrui d'une manière tout à fait … amicale, j'étais plus heureuse encore de la sentir se retirer en moi. Dans les tréfonds de mon esprit noircis par diverses et silencieuses réminiscences. Je restais un temps immobile, à observer le départ de Mélisandre : c'était-elle offusquée de mon comportement ? Avaient-ils au moins noté mon retrait et l'apparition de ma mère spirituelle ? Hélas, j'étais forcée de constater que non.
Personne n'avait vraiment relevé mes précédentes actions, aussi je préférais faire semblant que rien ne s'était passé. Or, je finis par me rendre compte que gueule d'amour était toujours accrochée à moi. La chaleur de cette étreinte me fis sans que je puisse me l'avouer, du bien. Le contact physique d'un homme me manquait déjà cruellement. La perte d'Astre se faisait de plus en plus ressentir. Sa présence rassurante me manquait au delà de toute raison. Je n'avais pas le droit de me montrer faible dans une telle situation, l'ambiguïté serait trop dure à effacer, autant dans ce cas faire fi et la tourner en dérision !

Je m'apprêtais à lancer une phrase de mon cru quand je vis en levant les yeux vers le visage du jeune homme, qu'il paraissait tout aussi absent que moi. Perdu dans ses songes, appréciant tout autant que moi, cette proximité. J'en conclus par une raison qui m'échappait encore, qu'il ne devait pas être familier de ce genre de chose. Rien ne m'échappait quand il s'agissait de décrypter le cœur des hommes : des restes de mon métier sans doute !
Une pointe de compassion un rien maternelle, naquit en mon sein et me laissant guider par mon instinct, je me retournais pour le prendre dans mes bras.

Profitant d'être proche de son oreille, je lui soufflais quelques mots réconfortants, discréditant pour l'heure, ma réputation de « lavandière revêche » pour reprendre les termes de ce connard de Tocard. Non, ce n'était pas comme ça qu'il s'appelait ?

- « Oui, tout est fini petit chat. Tout est fini et pourtant, tout n'est qu'éternel recommencement. Nous devons tout deux relever la tête, malgré le poids de notre passé.»

Je me reculais quelque peu pour lui offrir un sourire encourageant. Vu sa tête, il ne s'attendait probablement pas à une telle réaction de mal part. Un clin d’œil, et je désignais d'un signe de tête, Mélisandre qui n'était plus qu'un petit point descendant les marches du Sanctuaire.

- « Quoi ma mignonne ? Tu préférerais que je te roule un patin et fasse couler ton sang ? Oh mais tu sais, je ne voudrais pas porter atteinte à ta virginité, ni même abîmer cette jolie petite frimousse. Allez petit chat, tu me diras bien ton nom maintenant que je te câline ?»

Railler de la sorte me faisait du bien. Vraiment, c'était pas contre lui, enfin, il y avait peut-être de cela mais comme il paraissait réceptif au jeu, pas comme l'autre aux cornes recourbées qui ne devait en aucuns cas éternuer, je continuais mon petit manège dans le but de le faire réagir. Car ce stoïcisme, chez lui, je trouvais qu'il sonnait faux. Il était pour moi un être mystérieux, un rien sauvage et craintif. Chose qui me rappelait quelqu'un. Moi, la Satine d'autrefois.

- « C'est pas que je commence à m'ennuyer bien au contraire mon petit chat, mais Poséidon, je viens de m'en souvenir, m'a rappelé à ses côtés. Et en tant que Gardienne de la famille royale, je me dois d'accourir.»

Ouais, j'étais en charge de la protection de notre Seigneur à tous. Et ce fut cette donnée, qui s'imposa à moi, et me fit revenir sur le chemin de la raison. Triste tout de même d'avoir déclenché un tel bordel, je me raccrochais au premier venu comme une sangsue. Une moue badine sur le visage, un regard vert et innocent, puis je me reculais, brisant cette embrassade. En lui rendant sa cape, que j'entrepris de nouer correctement, je pris grand soin de plonger mon regard dans le sien. Non pas dans le but de le gêner, mais de le sonder. Forcée de constater que je me heurtais à un mur -enfin, je m'y attendais un peu- ce fut un peu déçue, que j'achevais de le rhabiller.

- « Voilà joli cœur, je te remercie encore d'avoir prit soin de moi, même si Mélisandre est loin d'être une empotée hein ! Ah, mais c'est touchant quand même va, mon preux Prince Charmant.»

Je ne pus m'empêcher de m'esclaffer suite à ma boutade. Ma main s'approcha de ce visage lisse, angélique et sans défaut pour le frôler de mes doigts fins. Avant de lui pincer carrément une joue, comme le ferais une mère avec son enfant. Comme je le faisais habituellement avec les miens. Comme je l'avais fais si souvent... Arrachés... Pour camoufler aussitôt mon désarroi, j'allais déposer un léger baiser sur son front un peu chaud.

- « Allez, je vais finir par me faire engueuler si je traîne encore, c'est que c'est le bordel chez vous ! Tu m'accompagnes petit chat ? Pas la peine d'aller voir la grognasse là haut qui se fait passer pour Athéna, car elle est en bas, je l'ai rencontrée tout à l'heure. Suit moi !»

Sur ce, je fis volte face, laissant ma chevelure virevolter dans ce mouvement gracieux. D'une démarche féline et sciemment calculée, je l'encourageais à venir. Avant de partir, je saluais le maître corbeau d'un signe de tête, l'incitant à suivre mes pas aussi.

Il était temps de tomber de Charybde en Scylla.

Fait chier...

L'allusion qu'elle fit à son propre passé le laissa perplexe. Il crut un instant qu'elle avait pu lire en lui comme dans un livre ouvert, ce qu'il souhaitait éviter à tout prix. Son existence passée ne regardait que lui, et nul n'avait à s'embarrasser d'une vision si pathétique. Et elle, qu'avait-elle donc eu à traverser pour l'évoquer avec tant de tristesse dans le regard ? La sienne n'avait pas non plus été un hymne à la joie, mais il se demanda quelle sorte de vie elle avait pu mener pour en arriver là. Ce qui avait déterminé qu'elle irait gonfler les rangs de Poséidon plutôt que ceux d'Athéna. Ce pourquoi il ressentait en elle une telle mélancolie. Jusqu'à très récemment, il ne se serait jamais cru capable d'empathie.

Voué à vivre et mourir seul, il opérait dans l'ombre car se tenir à ses côtés était un danger de chaque instant. Mais n'était-ce pas justement cette solitude qui le rendait plus que quiconque capable de compassion ? Qu'on le qualifie de chat en dépit de son signe zodiacal épingla sur son visage un pâle sourire. Cette demoiselle était bien familière, et nombre de chevaliers de son ordre s'en seraient offusqués. Pour sa part, il avait le plus grand besoin d'un peu d'humanité : de tels propos étaient dès lors plus que bienvenus. Le masque de glace qu'il portait en permanence était sur le point de se fissurer. Mais pour la première fois, il n'en avait cure.

Que t'est-il arrivé ? Voulut-il lui demander, mais s'il ne souhaitait pas s'épancher sur son passé, il en irait sans doute de même pour elle. Il s'efforça de n'émettre aucune réflexion en ce sens et de profiter de sa chaleur autant que de sa présence. Depuis quand n'avait-il plus pu serrer quelqu'un dans ses bras ? Depuis quand n'avait-il plus autorisé qui que ce soit à l'approcher d'assez près pour l'étreindre ? Tout contact aurait dû lui être interdit. Du moins, c'était ce dont il avait lui-même décidé. Mais l'envie de faire une entorse à la règle était trop forte. Aidé par la détresse, il n'avait pu qu'y céder.

Celsius. Celsius des Poissons.

Se nommer de la sorte était devenu une habitude. Le nom de son armure avait pris la place de son nom de famille, comme le voulait la tradition. Il n'était plus un homme, mais un Saint au service de la déesse de la guerre. Athéna. Quelle que soit la vérité, celle-ci devait attendre avec anxiété que lui parviennent les dernières nouvelles du front. Aussi devait-il aller les lui porter sans plus attendre, si nul ne l'avait encore fait. Shion lui avait confié la garde du Temple du Bélier, mais l'entrée du Sanctuaire n'était pas loin. Et tant que la première maison serait dans un tel état, tout visiteur y réfléchirait à deux fois avant de s'y aventurer. Le calme y était revenu, mais il n'était pas exclu qu'un pan de mur s'effondre sur celui qui pénétrait à l'intérieur sans autorisation.

Je ne sais pas ce que tu as vécu mais je comprends ta douleur. Je la sens dans ton regard. Je ne sais pas comment tu fais pour être aussi forte malgré le poids que tu portes sur tes épaules. Poséidon a de la chance de t'avoir. J'aimerais avoir autant de courage que toi ou ta soeur. Je dois dire n'avoir jamais vu pareille ressemblance. C'est assez troublant.

Alors qu'il franchissait le seuil de la demeure, il eut un dernier regard en arrière. Son homologue comprendrait sans doute qu'il avait mieux à faire que de veiller sur ses ruines. C'est ainsi qu'il dut se résoudre à quitter sa position pour se remettre d'aplomb, non sans une certaine anxiété. Son instinct lui disait de fuir au plus vite ce Sanctuaire et les forces occultes qui y étaient à l'oeuvre. Il craignait pour la vie de ceux qui étaient montés au sommet pour rencontrer l'autre Athéna. Pourvu que tout deux puissent revenir sains et saufs, ainsi que tous ceux qui les suivraient vers les hauteurs. Pour sa part, il savait vers qui était tournée son allégeance et ce sans même attendre que Mary lui ait affirmé l'avoir croisée. Quand la lumière inonda son visage, elle put voir la perfection de ses traits, certes androgynes mais néanmoins de toute beauté.

Au fait...

Tandis qu'ils se dirigeaient vers la sortie, une pensée dérangeante lui avait traversé l'esprit. La manière dont elle s'était comportée envers lui tendait à faire croire qu'elle le prenait pour un enfant malgré ses vingt-et-un ans révolus. Sa prétendue virginité, dont elle prenait plaisir à se moquer, voilà longtemps qu'il l'avait perdue, à chercher en vain une compensation à cette sensation d'isolement qui oppressait son âme. Lui faire savoir qu'elle faisait erreur devint dès lors une priorité. Soudain, il fit volte-face pour frôler ses lèvres des siennes. Il s'en fallut de peu qu'il ne lui donnât un baiser à son tour. Pour autant, il n'en avait pas envie – du moins pas de force et sous l'effet de la surprise. Le Saint des Poissons esquissa un sourire matois tandis qu'il écartait son visage du sien avec lenteur.

Je ne suis plus un enfant.

Ses doigts effleurèrent les siens et elle put y trouver la seconde d'après une magnifique rose rouge, en tout point semblable à celle qu'il avait offerte à sa soeur quelques heures plut tôt. Il avait pris des risques, mais elle paraissait avoir un faible pour ceux qui font preuve d'audace. Il ne s'en était donc pas privé, tout en espérant qu'elle ne mette pas ses menaces à exécution. Il aurait suffi qu'elle lui entaille la lèvre pour courir à une mort certaine. Il ne se doutait pas que son rang lui conférait une puissance suffisante pour s'y immuniser s'il ne faisait pas d'effort en ce sens, mais il était de toute façon préférable d'éviter un contact direct. Il posa l'index sur ses lèvres pour lui intimer le silence – ou plutôt lui faire comprendre que cela ne nécessitait pas de réponse, à moins qu'elle en ressente le besoin.

→ Entrée du Sanctuaire.

Citation :

C’était nickel !

Spoiler:

Spoiler: