Contre toute attente, Sköll s'était plutôt bien acclimaté au monde de nouveautés qui s'ouvrait à lui. Devenir un Guerrier Divin aurait pu changer sa vie de fond en comble, comme c'était le cas pour beaucoup. Et pourtant. Il n'était pas tant dépaysé que cela, hormis ces histoires de cosmos et d'armures sacrées qui avaient eu un minimum de mal à se frayer un chemin en contournant le côté rationnel de son esprit. Mais l'idée s'était finalement implantée correctement et lui avait fait comprendre que, qu'il le veuille ou non, c'était comme ça, maintenant. Ce qui ne l'avait pas désarçonné tant que ça, donc. Il fallait dire que se battre, c'était une habitude, pour lui. Avoir à y ajouter des pouvoirs magiques et d'autres éléments romanesques n'y changeait rien. Alors même s'il peinait à appréhender toutes les nuances significatives de ces phénomènes, leur prise en main se déroulait sans encombres.

Preuve en était de ses récents combats dits d'entraînement avec sa jumelle, qui avaient ravagé bon nombre de coins initialement paisibles dans les contrées environnantes. De nombreux villageois avaient maintes fois pensé pester contre ce saccage intempestif, mais s'étaient rapidement ravisés. Faire la morale à un homme de son envergure n'était jamais très judicieux. Et puis, ils n'avaient au final pas détruit grand chose dont la perte soit irremplaçable. Quelques barricades et des arbres, tout au plus. Encore que ces derniers étaient récupérables, et leur abattage réduisait au moins de moitié le travail des bucherons étant donné qu'y tailler des bûches était encore très largement possible. Les autochtones s'étaient donc concertés pour tomber d'accord sur le fait de ne pas leur en toucher mot tant qu'aucune habitation ou autre structure essentielle ne serait touchée par leurs simagrées. En outre, sa vie n'avait pas tant changé. Il vivait toujours au même endroit, mangeait les mêmes plats, côtoyait les mêmes gens à quelques Ases près...

Avoir endossé l'armure de Zeta n'était pas une évolution transcendante. Il avait d'ailleurs décidé de faire une descente au village pour aller vider quelques chopes à sa taverne favorite. Mais à sa grande surprise, nombreux étaient les badauds à s'être arrêtés non loin de l'établissement, dont provenaient depuis plusieurs minutes déjà des bruits s'apparentant à ceux d'une bonne bagarre. Son ouïe n'était pas spécialement fine mais il y avait des sons qu'il était capable de reconnaître entre mille et celui-ci en faisait évidemment partie. Bousculant sans vergognes ceux qui échafaudaient des théories comme quoi il serait responsable des dégâts, ne s'étant pas aperçu qu'il était dans leur dos et venait tout juste d'arriver, il en franchit le seuil d'un pas ferme. Personne n'avait le droit de semer la zizanie dans un bar, pas même lui. Il y avait des choses sacrées auxquelles toucher était synonyme de peine de mort, et qui que soit le trouble-fête, dire qu'il allait en prendre pour son grade serait un euphémisme.

Le spectacle qui se dépeignit devant ses yeux était accablant : plusieurs corps gisaient déjà à terre, convulsant avant de trouver la mort pour certains. Quant aux ivrognes encore épargnés, ceux qui n'étaient pas tétanisés par la peur s'empressaient de quitter les lieux sans demander leur reste – ni même payer l'addition, cela va de soi. De toute façon, le patron était déjà en train de s'endormir dans son dernier sommeil... Le sang lui monta à la tête et, sans attendre, Sköll planta son arme massive dans le plancher. Le GodWarrior s'empara de l'une des tentacules virevoltant à portée. Sa poigne de fer était plus qu'il n'en fallait pour faire voltiger dans les airs la masse du coupable, qui décolla de sa position pour suivre le mouvement initié par ce geste brusque. Son habituel sourire féroce des combats palpitants avait disparu pour laisser place à un sérieux à faire peur, témoignant de son mécontentement.

« Si je te réponds que je suis ton pire cauchemar, ça fait cliché, non ? »

Les appendices du spectre étaient longs et le déplacer prenait du temps. C'est pourquoi le viking eut tout à loisir de se préparer à le cueillir en plein vol en lui décrochant son fameux crochet du gauche en pleine mâchoire, si toutefois sa proie arrivait jusqu'à lui. Trouver un échappatoire alors qu'il avait été soulevé et tiré par surprise était peu probable, mais sait-on jamais : avec une tête aussi peu enviable, peut-être avait-il eu à a place comme atout d'être plein de surprises. Pour lui, il fallait l'espérer. D'ailleurs, le guerrier du grand Nord n'avait pas songé une seule seconde au fait que sa proie désignée puisse être un envoyé d'Hadès. Il n'avait qu'une réflexion en tête et cette dernière s'axait sur la meilleure manière de lui refaire le portrait afin de lui faire comprendre à quel point empiéter sur ses plate-bandes pouvait être douloureux...

« Je crois que tu sais pas à qui t'as affaire petite merde. »

Malgré l'injure, le ton était dépourvu de toute animosité. C'était sa manière à lui de provoquer pour obtenir mieux de la part de son agresseur. Car oui, ce dernier s'était trompé sur son compte en croyant qu'il pourrait le neutraliser aussi facilement. Aussi importante soit la pression de ses tentacules, elle restait bien trop frêle pour emprisonner un grand gaillard tel que Sköll et s'en dégager ne lui demanderait pas trop d'efforts. Et il allait d'ailleurs le prouver sans attendre. Stoïque, il banda les muscles et entreprit de détendre l'étreinte qui menaçait de le retenir captif. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il eut tout l'espace nécessaire pour se délivrer de l'emprise que le spectre exerçait sur son corps et recouvrer toute sa liberté de mouvement. Les coups reçus n'avaient pas eu grand effet sur son épaisse musculature et il n'allait pas se faire prier pour montrer qu'il était en parfaite santé en rendant la monnaie de sa pièce à leur auteur. Zeta était fier de sa force et ne s'en cachait pas, encore moins alors qu'elle venait une fois de plus de lui sauver la mise.

C'est pourquoi il décocha son plus beau sourire narquois à son assaillant avant de raffermir sa prise sur l'énorme lame qu'il n'avait eu de cesse de trimballer depuis son entrée dans l'établissement. Il avait bien fait de l'emmener, elle allait pouvoir se rendre utile contrairement à ce qu'il pensait au départ. Son corps fusa vers l'avant à une vitesse folle, déconcertante pour son gabarit, et le sol s'arracha sous la pointe de son instrument de mort. Les lattes du plancher déchiquetées s'envolaient en tous sens, augmentant sensiblement les frais de réparation qu'occasionnerait ce duel qui n'avait rien des bagarres d'ivrognes habituelles en ces lieux. À vrai dire, il était même fort probable que l'Asgardien soit responsable de la majeure partie de la casse à contrario de son vis-à-vis, qui s'était principalement rendu coupable des pertes humaines. Mais qu'est-ce que les biens matériels quand il s'agissait de bouter hors des terres gelées un parasite qui n'y avait pas sa place ? Absolument rien.

Et c'est en se fiant à cette unique opinion que le Guerrier Divin s'attelait à la lourde tâche que serait celle de le faire déguerpir à grands coups de pied dans le fondement, si tant était qu'il ne préfère pas en fin de compte le renvoyer d'où il venait en pièces détachées une fois qu'il en aurait fini avec lui. Galvanisé par l'aisance de sa parade précédente, l'Ases chargea toute sa force dans le coup qui suivit et le sifflement qui fendit l'air - et le plafond - alors qu'il soulevait son épais tranchoir en fit grimacer plus d'un dans l'assistance. Ce bruit, ils ne le connaissaient que trop bien ; c'était celui qui résonnait aux confins de la forêt à chaque fois que le colosse mettait fin aux jours d'une des bêtes sauvages qui y vivaient. Ce en plus d'être symptomatique d'effusions de sang par barriques entières, le plus souvent. En l'occurence, son coup de taille n'avait pour but que de séparer la tête de la vermine de son corps et ce avec toutes les visions atroces que signifiait ce geste dénué de toute technicité.

« Asgard recèle bien des dangers. L'un d'entre eux porte un nom : le mien ! »

Son élan ne manqua pas de l'emporter, comme le laissait penser cette phrase témoignant de l'entrain qu'il mettait à lacérer le pauvre Ver de ses « crocs » acérés. Il était trop confiant, c'était une certitude. Mais avait-il vraiment tort ? Rares étaient ceux à pouvoir rivaliser avec sa force prodigieuse et sa technique de combat, du moins à sa connaissance. Le seul adversaire à sa taille qu'il connaisse n'était autre que sa jumelle. Il ne pouvait donc en être autrement, même si ce n'était que trop malsain de le laisser se poser sur un pareil piédestal : la chute n'en serait que plus dure quand il prendrait connaissance de certaines réalités. Ivre de violence à la vue du massacre survenu dans la taverne quand l'étranger s'en était donné à coeur joie, Sköll se laissa porter par l'odeur du sang. Que ce soit par crainte que son interlocuteur se soit sorti indemne du premier coup ou pour entamer son découpage, quatre coups se succédèrent pour donner suite au premier, cette fois portés de part et d'autre de son corps.

Leur orientation ne laissait pas place au doute quant à l'utilité que celui qui les distribuait voulait leur donner : changer son antagoniste en homme-tronc était devenu son nouvel objectif. Il s'était amusé à abattre plusieurs bucherons, grand bien lui en fasse ; cependant, en compensation, ses membres déchirés serviraient à alimenter le feu brûlant vivement dans l'âtre en lieu et place des bûches que ces malheureux ne pourraient plus fendre de leurs haches. Lui, en revanche, préférait fendre les crânes et c'était précisément ce pour quoi il voulait se dévouer à cet instant. Sa danse mortelle s'interrompit brusquement avant que tout à coup, sa main restée libre ne s'illumine d'une étincelle azurée. Son potentiel cosmique jusque là demeuré égal à lui-même monta en flèche tandis que les contours d'une boule d'énergie s'ébauchaient autour de son poing, faisant à peu près le double des dimensions de celui-ci.

Sans plus attendre, il propulsa ce même uppercut en direction de l'estomac de son adversaire dans le seul et unique but de lui couper la respiration et de le plier en deux. Bien entendu, si quelques effets venaient s'ajouter à ce contact sans grande délicatesse, ce ne serait que pur hasard... Ou pas. Néanmoins, cet enchaînement teinté de sauvagerie avait un grand inconvénient, qui consistait à avoir répandu de la sciure de bois dans toute la pièce - ce qui ne manqua pas de gêner considérablement sa visibilité. Le mobilier disséminé aux quatre coins de la pièce semblait être la meilleure solution pour y voir plus clair s'il ne voulait pas attendre que cette brume artificielle ne retombe, aussi effectua-t-il un bond étonnamment leste sur l'une des tables environnantes. Même si elle ne put que craquer sous son poids, soutenu de celui de son arme, elle tint bon ; le bois massif tiré des arbres des forêts environnantes n'avait pas son pareil en terme de solidité. Il n'y avait plus qu'à attendre que les restes de sa sa victime s'extraient de ce capharnaüm pour s'enquérir de l'accomplissement de sa tâche...