L'énorme épée s'abattit sur le sol gelé sans rien rencontrer d'autre que le vide.

« Putain ! »

Trop tard. Ça s'était joué à rien. Peut-être à une seconde près. Mais il avait manqué sa cible. S'il ne lui avait fallu que le temps d'une respiration pour faire volte-face et jeter sa lame en reprenant ses esprits, c'était déjà trop. Son corps tout entier avait pivoté d'un bloc et jeté son arme à la vitesse de l'éclair, mais tout ce qu'il avait fait avait été de creuser dans la neige un sillon aussi profond qu'une tranchée. Eren était encore en pleine possession de ses moyens. Et pourtant, il n'avait rien pu faire.

Ayant manqué toute la scène, trop occupé par son propre combat fratricide, il n'avait guère eu que le temps d'apercevoir la silhouette du coupable avant qu'elle ne disparaisse. Si ses pensées étaient encore un brin confuses, il n'en était pas moins clair dans sa tête que c'était à Athéna et ses laquais qu'il devait cette déconvenue, n'ayant pas pu apercevoir la vraie couleur de son armure. Si pour sa part il s'en tirait à bon compte, on ne pouvait en dire autant de ses deux compagnons.

Qu'il s'agisse de celui qu'il avait lui-même battu comme plâtre ou de Liv qui avait du tenir tête seule à l'assaillant, les deux étaient mal en point – quand bien même il pouvait se vanter de n'avoir pas fait trop de mal au Guerrier Divin d'Eta. Était-il resté assez lucide pour éviter de le blesser trop grièvement ou celui-ci s'était-il défendu mieux qu'il ne l'aurait pensé malgré sa cuisante défaite ? Quel qu'en soit le motif, l'important était que ses jours ne soient pas en danger. Liv non plus n'avait pas l'air trop esquintée.

« Allez, debout. On s'arrache. »

Arrivé à hauteur de l'élue d'Eingana, Eren la saisit par le bras, l'arrachant à son écrin à la pâleur lunaire pour la remettre sur pieds. Pieds qui l'espace d'un instant flottèrent dans le vide alors que le chef de guerre la tenait à bout de bras. Manipuler une blessée avec si peu de précautions n'était pas conseillé. Mais s'il en prenait le droit, c'était parce que blessée, elle ne l'était déjà plus. Comme elle pouvait le voir, son oeil était ouvert – « l'autre » oeil – et l'énergie divine courait à travers lui comme la sève sous l'écorce d'un arbre millénaire.

Plus qu'il n'en fallait pour la régénérer, pour peu qu'elle sache correctement l'exploiter – et elle le savait, il n'était pas permis d'en douter. Il en fallait plus que ça pour la tuer, mais il n'en était pas moins tenu de prendre soin d'elle dans leur intérêt commun. Cependant, qu'elle n'ait rien pu faire pour le museler au moment où sa laisse lui avait été enlevée l'inquiétait. Certes, les manigances de l'inconnu ne lui en avaient guère laissé la latitude, et il avait réussi à éviter le pire. Mais peut-être n'était-elle pas suffisante pour le tenir en laisse.

Songeur, il la secoua pour la libérer de la neige qui la recouvrait encore avant de la reposer sur le sol. Ce n'est qu'alors qu'il s'enquit de l'état de santé de son adversaire. Pour avoir toujours manié l'épée, avant même d'apprendre à marcher, il avait acquis une sensibilité extrême à son sujet – plus encore depuis qu'il s'était « éveillé ». Ainsi pouvait-il sentir avec certitude quand la vie d'un ennemi lui échappait sans qu'il puisse la retenir. Ce n'avait pas été ici le cas. C'aurait pu l'être s'ils avaient continué, mais ils s'étaient arrêtés à temps. Mais trop tard. Sa paupière se referma.

« Eh ! Tu peux te lever ? »

Approche fort peu délicate, mais l'homme ne l'était pas. Il n'y avait ni temps ni place pour les excuses et les paroles en l'air. Et de toute façon, ils auraient tout le temps pour ça une fois en sécurité. Même s'il aurait voulu explorer plus en profondeur, il sentait que tout ce qu'il y avait d'intéressant dans cet endroit était parti avec leur charmant visiteur. Lequel, lui, les avait hélas quitté sans l'empreinte de ses phalanges imprimées sur la gueule. Il veillerait à y remédier. Mais ici, il ne restait que la mort. Rangeant son épée dans son dos, il chercha le chemin par lequel ils étaient venus. Pas question de moisir ici. Mais avant de se mettre en route, il eut un dernier regard en arrière.

Tout ça pour ça ?

Citation :

Fin de l'Odyssée.