Aussitôt qu'il eut placé la dernière rune, une petite voix dans sa tête lui intima la prudence. Sa conscience lui hurlait de revêtir le manteau ténébreux des Bourreaux. Soit, car porter un masque ne le gênait pas outre mesure, Gilles de Rais avait abandonné le code de la chevalerie depuis des centaines d'années déjà. Des bras vaporeux et hostiles l'entourèrent de leur vindicte presque palpable tant les brumes vaporeuses et noires s'agitaient comme des tentacules. Pourtant, l'homme ne bougea pas, se laissant happer par cette force aussi inconnue qu'incongrue.
Le périple se passa sans trop d'encombres, sans trop de heurts tandis qu'il avait fermé les yeux pour serrer fort contre son cœur, le Livre de Sang. Un linceul sanguin l'enveloppait, le cachant un bref instant au regard des astres qui défilaient. Un spectacle magnifique, alors que le noir s'imposait avec plus de force. Les murmures de son vieil ami N.F ne cessaient jamais, il l'encourageait dans cette entreprise : c'était là la première fois que Gilles de Rais deviendrait... personne.

Oui, un Bourreau n'avait point d'identité propre. Il n'était que l'exécutant. L'exécuteur, un sans visage que l'on détestait toujours. Et tant de haine ne lui faisait que du bien. Elle connotait toujours un sentiment puissant, nocif mais ô combien jouissif car elle invitait le sang. Ce précieux liquide dont il ne pouvait plus se passer et devait se repaître.

~ Pour qui combat-tu mon vieil ami ? demanda l'alchimiste au même moment où il ouvrit les yeux. «Pour mes Dames Perséphone et Jeanne.»

Répondit-il tout simplement tout en observant les alentours. Peu à peu, le Spectre laissa les mains du Livre achever leur œuvre, bientôt, un tout autre personnage venait d'apparaître sur cette drôle de scène de théâtre. Un étranger, un sans-visage. Un inconnu. Ce n'était plus un monstre voûté par le poids de la culpabilité, un être difforme aux yeux exorbités : à la place se tenait un jeune homme au port altier, vêtu d'un habit pourpre à capuche, un gilet proche de la couleur des empereurs, des épaulettes bleues et rouges, renforcées par de l'argent, et du même alliage, un masque sans expression où était dessiné un point carmin. Au travers de ce dernier, deux fentes, laissant entrapercevoir ce regard jaunâtre, fou. Mais étrangement calme et serein.
Un autre personnage se tenait non loin de lui, tout à sa contemplation. Ils se jugèrent sans ciller, avant que l'un d'entre eux ne brise le silence érigé telle une muraille. Silence ? Pas tout à fait car dans le lointain, la rumeur de cette planète s'élevait de temps à autre. Pour toute réponse, Gilles de Rais se tourna tout à fait vers son adversaire, baissant subrepticement la tête en guise de salutation.

Ce fut une vague de froid qui salua ce début de combat. Sous le masque, Gilles eut un petit sourire en coin. Sans que son ennemi ne s'en rende visiblement compte, trop préoccupé par l'exécution de sa technique ô combien éprouvante, il fit apparaître le Livre. Ce dernier virevolta autour de son maître, le nimbant d'une vive lumière crue. Non pas que cela réchauffait totalement ce corps, mais au moins il encaissa une bonne partie de cette attaque. Les coups pleuvaient, plus puissants les uns que les autres. Et quand il se retrouva dans les airs, l'homme ne poussa pas même l'ombre d'un gémissement.

~ Maintenant

Lui susurra NF. Dans un éclat sans pareil, le Livre de Sang créa l'espace d'un bref instant, un bouclier pour le protéger de l'impact et du coup fulgurant. Si bien que, totalement engourdi, il ne sentit rien. Néant.
La glace ne fut bientôt plus qu'un nuage de poussière d'argent : le cosmos de Gilles de Rais explosa en même temps que lui-même éclata d'un rire sardonique.

« Le châtiment des sots est la sottise. Ainsi sont les mots de la Bible jeune sot ! Ne crois pas que le chemin de la victoire sera si facile...»

Poena stultorum stultitia!

La voix de l'Inquisiteur résonna un long moment au travers de cette scène. Brusquement, l'homme au masque blanc se retrouva devant le dit Caedus, paume tendue vers son front presque à le toucher. D'une manière instantanée alors qu'il continuait de psalmodier cette même phrase, une marque semblable à celle de son carcan d'argent qui recouvrait son faciès, apparue. Un rond rouge, la marque du Livre. À son tour, comme l'homme à la mine sombre l'avait fait, il enchaîna une série de coups avec une vélocité déconcertante.

«Te voilà à ma merci, Seigneur Caedus !» railla Gilles de Rais en disparaissant dans une bourrasque de fumée où se mêlait le sang et réapparaître, assis sur un gros rocher, à l'observer en hauteur. L'air parfaitement satisfait.

«Vient, hérétique, le Bourreau est près à t'offrir ton châtiment.»

Les paroles du Kraken semblèrent intéresser Gilles de Rais : il le traitait de fou. Non, bien que son ennemi ait pu effectivement lire l'aliénation dans ces yeux dénaturés, il ne pouvait encore en comprendre toute la portée. S'il était en effet atteint d'une telle corruption de l'esprit, il n'en montrait qu'une infime partie, une bien dérisoire et qui semblait complaire Caedus à porter un jugement trop hâtif. Le Spectre était bien plus complexe qu'il ne paraissait de prime abord. Le poing posé nonchalamment sur la joue froide de son masque, il l'observait sans mot dire. La marque de sang ferait un jour ou l'autre son office, de cela il en était persuadé. Mais il devait avouer que son adversaire ne manquait pas de ressources !
Quand il parla de confiance en soi, Gilles se redressa tout à fait sur son rocher, interpellé par le verbe de ce jeune sot. Il n'eut le temps réellement de soupeser cette phrase dans sa totalité car le malheureux venait de l'attaquer en traître dans le dos. Une chose qu'il ne pouvait laisser passer, son ancienne conscience du code de la chevalerie lui hurlant réparation. Avec la souplesse digne d'un félin, le Spectre du Bourreau évita les stalagmites, exécutant dans les airs, des figures aériennes et fluides. Là encore, aucuns sons ne purent franchir la barrière de ses lèvres irrémédiablement closes.

Quand il se réceptionna sur le sol, ce fut avec une lenteur calculée, qu'il se releva pour faire face à son ennemi. D'un geste théâtral ô combien exagéré, Gilles de Rais écarta les bras en croix pour ensuite tourner ses paumes vers les cieux obscurs.

«Rien de surprenant jeune sot. Mais ne crois pas que cela soit un tour de passe-passe. Je ne suis pas aussi faible que tu le penses. Ni aussi confiant que tu le dis.»- L'inquisiteur au masque d'une main, alla cueillir le Livre de Sang qui flottait autour de lui tel un oiseau de proie. À ce contact, le Liber Sanguinis se para d'un halo de sang. « J'ai seulement la prétention d'accomplir mon devoir envers les Dames de mon cœur. Vois-tu, je me dois d'être infaillible, me distinguer auprès de la Sombre Impératrice, et être fort pour la Dame au Lys..»

Sur ces paroles un rien énigmatique, il s'immobilisa, ne détachant pour autant pas son regard sur cette silhouette toute auréolée d'or. Un nouveau sourire alors que tout autour d'eux, le blanc devenait le maître incontesté. Ô comme Gilles fut subjugué ! Si bien qu'il leva la tête pour regarder les cristaux se former avec une rapidité déconcertante. Sa chaude aura carmine s'intensifia, N.F l'exhortant à la méfiance.

«Ô je vois, je vois ! Une très puissante technique en effet Seigneur Caedus ! Mais ça ne m'arrêtera pas pour autant !»

Clama t-il haut et fort, sa voix couvrant ce tintamarre alors que les flocons, à l'instar de fines lames, lacérèrent son corps. Ses vêtements par endroit se déchirèrent, révélant sa peau d'albâtre, la couleur étrange de son sang aussi noir que l'encre. Sa voix de stentor ne paraissait pas s'atténuer alors que le froid engourdissait ses membres, se muant en un sorte de cri angoissant, funèbre.
Sa silhouette arc-boutée vers l'arrière disparue peu à peu derrière un rideau immaculé. Mais le hurlement sordide ne cessa point pour autant. Puis le silence revient, le calme aussi après la tempête. Un paysage insolite mais superbe, se révéla : partout où l'on portait le regard, la neige avait tout recouvert. Qu'importe le froid, les blessures, les yeux jaunes de Gilles de Rais ne parvenaient à se détacher de cette magnifique démonstration de puissance. De temps à autre, ses épaules étaient secouées d'un soubresaut : il riait.

« Ah ah ah ! Sache importun que la Mort est une vieille amie désormais, moi qui ait découvert les secrets de la vie éternelle ! Un Saint-Graal ! Une pierre !»

La poussière scintillante s'envola dans une bourrasque de vent qu'il leva d'une manière imperceptible. Contre lui, il tenait le Livre. Il s'approcha de quelques pas du Général Marina.

« Je n'ai pas d'identité Seigneur Caedus, je suis le Bourreau de toutes les âmes, un sans-visage quand je porte ce masque. Mais autrefois, on me surnommait Barbe-Bleue ! »

Une bien ignoble et affreuse révélation pour qui en comprenait toute la portée morbide et malsaine. La légende. Non, une réalité. Et Gilles de Rais allait lui montrer qu'il disait vrai ! Index pointé vers le front du Kraken, une onde sans réelle douleur le traversa. La souffrance viendrait bien assez vite.

« Au commencement était la Parole.»

L'ouvrage de Sang s'ouvrit de son propre chef, les pages filant à une vitesse folle. De ce dernier surgirent comme des tentacules rouges, des liens véloces et assoiffés de sang. Ceux-là se plantèrent dans les chairs, les muscles de l'adversaire, le paralysant peu à peu. Il devait sentir un fluide se répandre dans ses veines, tel un poison pernicieux qui en réalité, en plus de se repaître de lui, dégageait un effet pervers. Il ne tarderait pas à délirer, sentir son corps tout entier se raidir par ces visions d'horreur qu'aucuns hommes n'auraient put supporter. À moins qu'il ne soit un monstre lui-même, et qu'il ait commit les même méfaits : l'enlèvement d'enfants, les expériences pratiqués sur eux, la torture par pure envie sadique, le viol, le feu, la nécrophilie, nécrophage... Des silhouettes prostrées, des pleurs, des gémissements, des plaintes des appels au secours ! Des petits fantômes égarés n'ayant pas le droit à l'absolution ! Et enfin, dans l'ombre, une forme gigantesque, tordue et moqueuse, le jugeant. Le Bourreau.

In principio erat verbum !

~ Bien, à présent qu'il est à ta merci, frappe !

Il suivit bien sûr le conseil de son vieil ami, infaillible et invisible. Toujours aussi vif, il frappa, encore et encore le corps figé, jubilant chaque fois que son poing rencontrait de la résistance. Tout à sa jubilation, Gilles de Rais pour parachever son œuvre, envoya un fulgurant coup de pied dans le but de repousser au loin, cet adversaire qui le prenait pour un fou.

Mais c'était la vérité. Une insupportable vérité.
Et le combat ne faisait que commencer.

« Ressent-tu la puissance de Dieu, hérétique ?»

Let's the stars fall down!~

Il n'y avait pas de place pour le doute. L'ennemi l'avait comprit un peu tard, hélas pour lui, tant mieux pour l'Inquisiteur qui, pas peu fier de ce dernier mouvement, contemplait son œuvre. Ô quelle délicieuse vue ! Quel magnifique et jouissif spectacle le Général offrait à ses yeux fous. De toute sa hauteur, Gilles de Rais le regardait plier peu à peu sous le joug de cette pernicieuse attaque. Ce n'était là que le commencement. Le prélude à ses souffrances ! Le Bourreau n'en avait pas finit avec lui. Il aimait bien s'amuser un peu avec ses proies avant de donner le coup de grâce. Oui, cela n'était pas bien conventionnel, mais ? Qu'importe ! Il n'était plus un homme de raison.
L'ancien chevalier-maréchal eut sous son masque, l'ombre fugace d'un rictus mécontent. Le malheureux tenta, en vain, de se dégager de son étreinte. Par mesure de précaution, il demanda au Livre de déployer plus de cette force assassine et vile dont il était toujours paré. Mais la réplique ne vint jamais, pour son plus grand plaisir ! Plein de satisfaction, le Seigneur de Rais fit quelques pas dans la direction de cet homme à la noire chevelure. À sa hauteur, il s'agenouilla, notant au passage l'apparition d'une trouée dans les cieux parés d'étoiles. L'homme sans-visage plongea son regard dans celui du Kraken, d'une main, il lui leva le menton.

« Vous êtes un homme plein de bon sens, Seigneur Caedus. Et je dois admettre que c'est un honneur pour moi que de me mesurer à un si fier combattant. Mais je ne suis pas dupe !» D'un doigt, il appuya sur la marque ronde et rouge parant le front du jeune homme. Sur un ton plus caverneux, à faire frémir, il reprit : « Je vous l'ai dit, je n'ai pas d'identité quand je porte le Masque du Bourreau. Je ne suis personne d'autre que l'exécuteur. Barbe-Bleue n'est qu'un personnage, réducteur, je suis bien plus que cela. Je suis un immortel. Et vous, un menteur.»

D'un geste vif, l'homme aux prunelles d'or se releva en même temps qu'il empoigna son adversaire. Un bref moment, il baissa la tête pour voir à ses pieds, le sang fraîchement versé sur le sol terreux. De sa main où il tenait le Livre, il le laissa planer à sa guise, libre. Alors, tel un faucon, il tourna, tournoya un instant autour du liquide carmin avant de l'absorber. L'écarlate le nourrissait.

« Maintenant que j'ai goûté à votre sang, j'ai la confirmation que vous me mentez. Vos mensonges odieux cachent la part de noirceur de votre être. Tout à l'heure j'ai vu votre appréhension, pour ne pas dire peur ! Je ne pense pas que vous soyez homme à avouer votre peur. Pour autant, vous n'êtes pas un être immaculé n'ayant commis aucuns méfaits. Je lis dans l'Ouvrage de Sang que vous êtes ou étiez... comment avez-vous dit ? Oh... une lie de l'humanité ?»

Gilles de Rais éclata d'un rire sardonique. Il se moquait sans vergogne de cet homme qui avait osé porter jugement alors que lui-même n'était pas exempté de la folie, des écarts. Brusquement, l'Inquisiteur enserra la gorge de Caedus. Il resserra davantage sa poigne quand il finit par ressentir les effets néfastes des caprices de cette planète. Son cosmos... il le sentait, il s'envolait !
Son air renfrogné ne put se lire derrière l'argent de son carcan, cependant, il décida de passer cette frustration en frappant rudement son adversaire. Usant de sa vitesse et de son agilité, Gilles de Rais fonça droit sur un rocher recouvert d'une couche de glace et fit se percuter le corps du Kraken. À ce lourd contact, des paillettes scintillantes dansèrent tout autour des deux combattants. Sauf qu'il ne s'arrêta pas là. Encore des coups, plus sauvages que les précédents quand Gilles comprit qu'il ne parviendrait pas à libérer sa force.

~ Patience mon vieil ami, patience... cette planète est capricieuse. Si tu te laisses emporter par la frénésie, un tout autre Masque pourrait apparaître. Alors je ne pourrais plus rien pour toi...

Un grognement rageur répondit à ces murmures de l'esprit. Gilles de Rais lui, ne l'entendait pas de cette oreille. Il était prêt à tout pour briller pour ses Dames. Il ne pouvait les décevoir. Non, cela l'anéantirait. Comment pourrait-il redresser la tête ? Non une fois encore ! S'il devait révéler cet autre visage, s'il n'en avait pas le choix, alors il le ferait.

« Je n'ai pas le droit de perdre.»

En silence, il délaissa son adversaire pour se replacer à sa place, le Liber Sanguinis le suivant dans son sillage. Là, un peu pantois parce qu'il se sentait de plus en plus affaiblit, le Bourreau s'immobilisa tout à fait, ralenti sa respiration... Entra en communion avec son environnement. Ce dangereux environnement. Quand son esprit effleura la brèche dans la trame des cieux, l'homme sans identité crut entendre chanter les étoiles... Tomber.

Let's the stars fall down!~

Le seigneur Caedus se relevait avec difficulté, pantois, chancelant, son visage était marqué par la douleur. Une lutte intérieure se déroulait encore dans son âme, son être tout entier encore tout tremblant.
Il s'indigna contre les pratiques de Gilles de Rais. Et bien ? Oui, ne l'avait-il pas déjà démontré et dit ? Le code de la chevalerie n'importait plus à ses yeux. Quant à la perfidie dont il le paraît, elle existait en effet réellement. L'inquisiteur ne le niait pas, pas plus que la jouissance qu'il éprouvait chaque fois que son adversaire mordait la poussière. Une victoire déjà en soi, et le Bourreau n'était pas peu fier de cette performance ! Il jubilait à le voir ainsi se démener pour se redresser. À prendre tant de son énergie pour satisfaire son ego.
Il se vanta ensuite -comme Gilles s'y attendait- de son affinité avec la glace, et du froid qu'elle pouvait générer. Certes, il lui accordait au moins cela, ses techniques étaient parfaitement exécutées et cela prouvait à quel point cet homme était expérimenté. Seulement, autrefois, à lui, on lui avait conféré le titre -ô combien prestigieux- de « Second Maréchal de France ». Niveau expertise, le seigneur de Rais n'avait pas à rougir.

Il leva un sourcil circonspect que son ennemi, évidemment ne pouvait voir sous le masque. Cette capacité à se régénérer tel un serpent était tout bonnement prestigieux ! Incroyable même ! L'alchimiste aussi, présence encore invisible aux côtés de Gilles, chuchotait ses observations, ses conclusions et son admiration pour ce noble guerrier. Chose amusante car les dernières paroles prononcées par le combattant étaient un paradoxe puisque son vieil ami était justement là pour « voir au delà de la surface». Le Spectre ne sut contenir son hilarité.

«Menteur, et dur de la feuille en prime. Pourtant vous devez avoir quoi ? Une vingtaine d'années ? Vous me faites bien rire. Vous vous fourvoyez beaucoup petit seigneur ! Même si vous parvenez à m'abattre, je me relèverais toujours.»-sa tête tomba sur le côté, dotant à ce visage d'argent, un air presque cynique avec le peu de lumière qui tombait à l'oblique- «Toi ? -fit t-il en claquant de la langue et usant du tutoiement, signe évident du mépris que l'homme lui inspirait- Tu aurais sauvé l'humanité ? Qu'as-tu fais pour elle jeune sot ? Alors que, longtemps, je le sais, tu as cheminé sur le chemin de la déraison ! Je l'ai vu, ta dernière rencontre avec ta sœur. Liana.»

Il laissa glisser cette phrase tandis que l'immaculé reprit ses droits tout autour des deux combattants. « Alors... Penses-tu vraiment que je ne vois que la surface des choses ? Je sais tout de toi.»

~ Attention, les étoiles vont chuter.

L'avertissement sonna comme le glas. Les yeux plissés, le froid commençait sérieusement à avoir raison de lui. Pis que tout, ces brusques changement de températures fit naître des nuages annonciateurs d'orage. Cette électricité déboussola Gilles de Rais qui se sentit une fois encore, vidé de son énergie.
Cette planète ne l'aidait vraiment pas dans cette lutte acharnée, elle le précipitait même à sa perte. Déconcerté par cette perte brutale, l'ancien chevalier ne put contenir l'attaque de son adversaire. Il eut tout juste le temps de mettre ses bras au devant lui, espérant secrètement que cela l'épargnerait ne serait-ce qu'un peu. La chute fut pleine de douleur pour lui. Un temps qui lui sembla être une éternité, Gilles resta allongé dans la poudreuse à observer les cieux. Lentement, il maudit l'être à l'origine de cette mascarade. Sa curiosité le perdra. D'ailleurs, celle-ci continua sans qu'il le sache, à lui jouer de vilains tours : l'araignée qu'il avait enfermé dans un petit bocal avant d'être précipité ici était parvenue à s'échapper quand, avec la rudesse des coups, sa prison fut réduite à néant. Elle avait fait son sombre office pendant qu'il s'était écrasé contre un rocher recouvert d'une épaisse couche de glace. Mordu par l'insecte, Gilles ne ressentait pas encore les effets du poison dangereux qui s'écoulait dans ses veines.

Sauf N.F. Ce dernier tentait de le prévenir, or, il ne l'entendait plus. Et quand le Spectre s'en rendit compte, il fut prit de panique. Seul, il était irrémédiablement seul ! Angoissé à cette idée, Gilles se raccrocha au souvenir de sa précieuse Jeanne. Avec lenteur, et dans un long gémissement plaintif, le Bourreau se remit sur pied pour finalement toiser son ennemi et pointer un index accusateur vers ce dernier.

« Je ne sers pas Hadès !»-hurla t-il rageusement en faisant éclater son cosmos écarlate- « Je ne sers que Perséphone ! La Dame des Saisons à qui j'ai donné ma vie, mon âme ! Et Jeanne, qui à jamais possédera mon cœur ! »

Fou de douleur, pleins d'inquiétudes, se laissant sombrer dans la folie, son seul refuge, Gilles de Rais perdait pied : ses yeux prirent la couleur du sang tandis qu'une large fissure traversait le masque du front jusqu'au menton. Il hurla encore et encore son indignation, dans le but inconscient de le soulager. Mais rien n'y faisait ! Le manteau de L'héautontimorouménos, le Bourreau de soi-même menaçait de surgir à tout moment. La mâchoire crispée, il ouvrit le Livre de Sang d'un geste sec.

« Au commencement est la Parole !»

Le Kraken qui se rétablissait aussi de cette foudre devait comprendre à l'entente de ces derniers mots, quelle attaque il s'apprêtait à lancer : celle-là même qui lui avait causé bien des tords. L'orage s'éloigna dans un dernier grondement assourdissant au même instant où il cria, illuminé par l'immaculé d'un éclair :

In principio erat verbum !

Dans le dos de l'homme sans-visage, surgirent les liens de sang, des fouets assassins, tout aussi néfastes que la morsure de l'araignée. Les tentacules suivirent le même trajet que la dernière fois, se précipitant sur l'ennemi. Profitant de cela, Gilles de Rais, emplit d'un second souffle, fila droit sur son adversaire se fendit et le percuta de plein fouet. L'impact fut violent, alliée à la danse du livre, ballet hypnotique qui permit au Bourreau de créer un bouclier de sang pour l'envoyer au loin. Là où il ne risquerait pas de répliquer.

Il haletait, se tenant le côté. Sous sa main, il sentit un liquide poisseux. Son propre sang. À ses côtés, apparurent les fantômes des enfants sacrifiés. Ceux là psalmodièrent mains tendues vers le Kraken, ils chantaient leur martyr. La plupart d'entre eux étaient décharnés, chairs mises à vif, où parfois, membres coupés, entrailles exposées. Une petite fille décapitée tenait sa tête dans ses bras maigres tout en continuant de chanter, sa petite robe blanche, déchirée voletant autour d'elle par la main d'un vent invisible...

Un terrible cri se répercuta dans toute cette contrée où ils avaient échoué. Prélude à une terrible providence et réminiscence !

Le masque se fissure. Se craquelle, se casse. L'argent n'était pas aussi dur que la volonté de celui qui voulait se faire bourreau du Bourreau. L'homme sans-visage montrait des signes évidents d'inquiétudes : il ne cessait de tourner sa tête dans toutes les directions, comme s'il cherchait quelqu'un, ou qu'il était persuadé de voir surgir à un moment ou un autre, un dangereux ennemi encore invisible. Parfois, une parole lui échappait, appel pressant, nom répété, deux lettres : N.F.
Car dans sa crise d'angoisse intestine, le Spectre respectait l'identité de son ami qu'il voulait à toute fin garder secrète. Pour le moment.
Sauf que Gilles de Rais ne l'entendait plus, cette voix amicale, pleine de conseils sages et avisés. Maintenant il errait plus qu'il n'évoluait. Dans le noir, tout seul, il se raccrochait à l'infime plus petite chose qui le rassurait. Le sang. Le Livre.

Un cri. Tandis qu'approchaient de grandes ombres aux ailes membraneuses, l'homme au masque ploya sous le poids de sa propre ignominie et, lisant le mouvement de son adversaire, prit la résolution de protéger son précieux Livre. Littéralement, à l'instant même où les premières bourrasques se faisaient ressentir, Barbe-bleue laissa le Liber Sanguinis lui traverser la poitrine. Sans douleur, le processus ne dura que quelques secondes, le temps suffisant avant qu'il ne soit emporté comme son adversaire, dans un tumulte innommable.

Gilles se recroquevilla sur lui-même, conscient dans un soubresaut de lucidité, du danger que représentait la faune de cette planète. Son dos heurta avec violence, la surface dure et déchiquetée d'un rocher. Une énième fissure naquit à la commissure des lèvres figées dans une expression sévère. Ses épaules tressaillirent quand il tenta de se relever. Peine perdue car dans cet effort, ses muscles hurlèrent leur protestation. Consterné par sa propre impuissance, un râlement bestial répondit au gémissement sourd de Caedus. Gilles de Rais ne faisait que s'enfoncer davantage dans la noirceur de son âme vide de toute lumière. Son esprit erra, pendant un temps qui sembla infiniment long, dans un épais brouillard où il ne vit personne. Le Spectre de l’Exécution se voyait marcher encore et encore, sans but, dans l'espoir inavoué de retrouver son chemin. Il arpentait des paysages indéfinis où se découpaient des formes étranges mais connues à la fois de lui sans qu'il ne parvienne à rassembler les bris de ses pensées. Une cathédrale peut-être venait de se dresser à l'instant devant lui, à moins que ce ne soit autre chose...

Il n'y avait que le néant.

La gorge sèche, serrée par la main implacable de Dame Destinée, Gilles serra les poings, ramassant au passage une poignée de terre sèche, aride. Il distingua un bref instant alors que s'écoulait entre ses doigts, cette poussière, des paillettes d'argents, froides : la neige. Ainsi il ne sut contenir cette nouvelle vague de sadisme l'exhortant à agir au plus vite dans le but de définitivement surprendre son ennemi de la pire des manières. Avant, il prit grand soin de se rétablir sur ses deux pieds, engageant ses muscles à un effort surhumain. Ceux-ci bandèrent à presque s'en déchirer, or, l'état dans lequel se trouvait l'inquisiteur fit que la douleur s'effaça bien vite. Si vite … Oui ! Car à peine ses prières balbutiées, les égratignures et autres blessures infligées par la main du Kraken se refermèrent derechef.

« Merci Ô Douce Corée, vous qui m’inonder de votre toute puissance, sachez que vos bras me réconfortent en ces heures sombres où j'ai l'impression d'être seul. Misérablement seul. Je serais à jamais votre obligé...»

Ces remerciements chuchotés pour la Dame des Saisons, Gilles tourna sa figure d'argent, inexpressive vers Caedus. Un morceau du masque, dans ce mouvement, se détacha de sa figure. En dessous, il n'y avait qu'une peau noire, des yeux jaunes, fous de douleurs, d'inquiétudes et animés par une unique envie : celle de tuer. Du carcan métallique, il ne restait qu'une moitié du nez, ainsi que la bouche et le menton, rien d'autre. Mais là où la peau était découverte, on pouvait voir que quelque chose était à l’œuvre.

Cette teinte noire sur cette parcelle de peau nue... Elle se rependait partout tel un poison, accélérant un processus que d'ordinaire, Gilles aurait stoppé : le changement de Masque. Déjà, on pouvait remarquer que la masse non-identifiée se durcissait en une plaque de métal noire, aussi profonde que l'obsidienne, aux reflets bleus.
Dos bien droit, port plus noble que jamais, Gilles de Rais imita la posture qu'adoptait Caedus lors du lancement de son attaque. Un froid mordant surgit de sa personne, l'enveloppa comme un manteau avant de s'étendre. Et, sans crier gare, il frappa :

Ice Breath !

Quelle douce ironie, non ? D'être touché par sa propre vindicte ! Caedus devait être fort troublé de voir son ennemi user de sa technique personnelle, de ce froid dont il se ventait tant !
Il ne manqua pas d'ailleurs, de le railler tout en allant au contact pour un autre échange au corps à corps.

« Je dois dire, moi aussi, que je prends plaisir à éliminer mon bourreau avec ses propres techniques. Alors, que penses-tu de cela ?»

Un dernier coup porté en plein visage, et d'un bond souple, se rétablit à quelques mètres de là, aux aguets, encore bien agité...

…L'autre aussi, attendait de faire son entrée...