Que tremble le manant, que se cache le couard, l'être dénué de sens se terre aussi dans son trou quand sonne le glas. Qui affronterait son destin sans vaciller ? Qui conserverait la tête bien haute, et qui encore serait prêt à s'insurger contre le Destin lui-même ? Lui l'avait fait. Et en avait grassement payé le prix.
Sa mémoire vieille de plusieurs siècles oscillait parfois entre la lumière et les ténèbres : c'était elle au final, qui avait forgé ses Masques. Le Spectre qu'il était devenu résultait d'une évidence toute écrite dans le Liber Sanguinis. Lui-même n'oserait remettre en cause le bien fondé des Mots.
De leur véracité, il n'en doutait pas. Après tout, n'était-il point, au demeurant, un homme de Foi ? Bien sûr que l'homme restait un animal pensant et doutant de tout ! C'était là une forme de solipsisme absolu ! Or, quand on avait perdu son humanité comme Gilles de Rais, ne pouvons-nous pas nous libérer de ces chaînes, ces lacunes ? Celles-ci n'étaient au final, qu'une barrière, un mur dressé à l'évolution. Une idée reçue clamait que la perte de cette humanité entraînait la folie et engageait à la monstruosité.
Caedus n'en pensait pas moins, or ils avaient peut-être tords, ceux-là qui donnait à cet homme, l'étiquette de lie de l'humanité.
Somme toute, éloigné du concept sage, il paraissait aux yeux de tous, comme étant un être instable, malhonnête, pervers...

Il n'était plus le chevalier qu'il fut autrefois. Seulement, une part de lui conservait profondément encré quelque part, ce fragment devenu noir, comme l'encre, de cette attitude noble dont autrefois il fut paré. À présent qu'il jouissait d'un avantage certain sur son adversaire, le Bourreau se rétracta dans sa démence, laissant une part de lucidité refaire surface. Non, bien sûr, la victoire n'était pas acquise ! S'il pouvait lire le doute dans le regard du Kraken, dans le sien, se reflétait la même chose. Jamais, non jamais clamer son triomphe avant de n'avoir bien engagé la bataille. Et celle-ci durait depuis un bon moment déjà. Les minutes s'écoulaient, petits grains de sable filant dans le sablier, et les deux hommes tenaient bon. Aucuns des deux ne désiraient montrer à l'autre, leur état avancé de fatigue. Car si Gilles paraissait au mieux de sa forme, ce n'était là qu'un leurre ! Il souffrait tout autant que son adversaire, de ses multiples blessures ! Rajustant sa capuche sur ses cheveux d’ébène, l'ancien Maréchal de France analysa la situation avec mimétisme, calquant la posture de Caedus tandis que ses sourcils se rejoignirent en une ligne sur son front. Il n'était pas surprit par le mouvement du Général, ni même de ce trou béant qui perça de nouveau la voûte obscure. Ce qui le rendait circonspect était la douleur juste où se trouvait son cœur. Or celui-ci avait cessé de battre depuis fort longtemps déjà ! Alors ?

« Jamais je ne sous-estimerais un homme tel que toi Caedus. Même si tu tiens des propos incohérents, dénués de sens, le fil de tes pensées ne m'échappant pas, je t'estimes malgré moi. Un valeureux combattant tel que toi mérite une joute magnifique.»

Étrange ! Le son de sa voix, son timbre se faisait plus doux, à l'instar de son regard qui reprit une teinte bleue-gris. Mais le signe précurseur de sa chute, lui, ne s'était point évaporé ! La peau noire prenait la consistance du métal, durcissait à mesure que le temps courrait. Le manque d'oxygène lui fit courber l'échine. Il cracha même un peu de sang avant de reprendre la parole tandis que Caedus préparait sa vindicte. Il eut tout juste le temps de croiser les bras au devant lui afin d'absorber à l'aide du Livre toujours en lui, protégé, le coup fulgurant qui souleva poussière et glace. Ses pieds glissèrent sur le sol sans qu'il ne décolle tout à fait tant Gilles mettait de la force à se défendre. Quand le rideau ocre et argent se volatilisa et que Caedus comprit qu'il ne pourrait user de son cosmos, Gilles, lui, s'avança vers lui d'une démarche solennelle. Attitude chevalière. Il s'arrêta net quand il le vit créer une lance de glace.

« Une belle création, mais c'est inutile, tu ne parviendras pas à me toucher avec ça. J'ai déjà mesuré sa dureté, incroyable, la portée de tes coups, tes prochains mouvements. Je peux lire en toi comme dans un livre ouvert Caedus. Mais... si tu parviens à me toucher avec, je te dirais mon nom véritable.»

Cette condition serait pour le Kraken difficile à réaliser. Peut-être aussi, avait-il cure de connaître l'identité de son adversaire. Lever le voile de mystère qui le recouvrait ? Gilles pourtant, lestement, évita la lance au dernier moment, si rapidement qu'on ne l'avait pas vu bouger ne serait-ce que le petit doigt. Ce mouvement prouvait à quel point il était expérimenté. Plein de dextérité. Sa vitesse était déconcertante, certes, mais pas infaillible. Il savait qu'à un moment ou un autre, il finirait par faire une erreur. La fatigue et la planète n'aidant pas sa stratégie, il œuvrait à l'aveugle. Dans sa main fermement serrée à l'extrême, la lance reposait : il la tenait contre son flan malgré le froid mordant qu'elle dégageait. Faisant même fi de ses gants. Il la manipulant un moment en finissant par la faire tournoyer au dessus de sa tête. Une autre vague de douleur lui fit plisser les yeux. Le poison finissait son œuvre. La mine grave à ce que l'on pouvait en jugé de son regard devenu écarlate, Gilles de Rais reprit le masque tantôt adoptée. Cette angoisse le rattrapant à la gorge.

« Que succombe le Monarque de Sang, l'hérétique tortionnaire !»

Quelle était la signification de ses paroles décousues ? Personne n'aurait sut le dire. Mais le Bourreau cria, fort, si fort sa douleur qu'il s'époumona, se tint la tête entre les mains, laissant choir la lance. Perdu, le fou haletant demeura ainsi prostré quelques secondes. Un autre hurlement passa la barrière de ses lèvres. Ce fut là le prélude au Grand Assaut. S'emparant de la lance de glace, Gilles fonça tel un éclair sur son ennemi. Il sauta dans les airs, se fendit à en faire frémir tout ses muscles puis, avec une violence inouïe, enchaîna son adversaire.

Une autre plainte déchira le silence établie après la contre-attaque.

« Mieux vaut écouter la semonce du sage qu’écouter le chant du fou. » Ce sont là les paroles de la Bible. Or, la complainte du sanguinaire, du Bourreau, du perdu, ne cesse de tourbillonner. Encore et encore, comme une ritournelle, Sombre complainte qu'était cet hurlement douloureux. Car Gilles souffrait de ce brutal changement de Masque. Le sans identité se muait en cauchemar, le sien. Et sans doute celui de son adversaire aussi. Qui ne craindrait pas ses propres chimères ? Qui ne reculerait pas devant ses peurs les plus inavouées ? Ou qui encore ne songerait pas à la fuite quand peu à peu se dressait le Porteur de l'épée de Mort ? Puisque c'était bel et bien ainsi que se nommait l'arme de Gilles de Rais. Porte-Mort. Autrefois, elle avait eu un tout autre nom, mais celui-là ne devait être prononcé. Le nom véritable d'une lame devait rester secrète, au risque de se voir dénaturée. Porte-Mort avait soif, très soif. Le Sombre-Chevalier aussi. Il n'était plus là, absent de tout ce qui se passait autour de lui, des événements, de la réalité, l'Inquisiteur luttait encore contre lui-même. En vain.
S'il oscillait entre raison et aliénation, la combat de la lumière était au demeurant, déjà perdu. Mais le fait qu'il repousse sans cesse l'inévitable prouvait que le Seigneur de Rais avait peur, avait peur de lui-même. Lui ne doutait plus de « sa » victoire. Le Bourreau de soi-même.

La mâchoire crispée par la souffrance qu'il ressentait couler comme un poison, l'ancien Maréchal de France se laissa happer par la contre-attaque de son ennemi. Son corps se tordit sous le joug de cette force noire, celle qu'il soupçonnait être cachée au plus profond de Caedus. Voilà la peur inavouable de ce fier combattant. Résidait une présence obscure, ce fragment noir que le Livre de Sang lui avait apprit l’existence. Nierait-il toujours l'évidence ? Étouffé par la main invisible et colérique de la vindicte du Kraken, ballotté par les remous du Destin, Gilles de Rais finit par fermer ses yeux. Il venait de perdre son combat intérieur. Maintenant, une aura malsaine œuvrait contre la machination de Caedus. La planète semblait de son côté : des milliers de bulles salvatrices tourbillonnaient à une vitesse folle, refermant les blessures du petit Seigneur au regard changeant. Quant à l'Inquisiteur, l'environnement ne fit qu'accélérer sa décadence.

« Porte-Mort ! Porte-Mort ! Il est temps d'être de nouveau brandie par la main de ton maître ! Bourreau, bourreau du Seigneur Noir des Siths ! Oui, petit Seigneur, nous allons te pourfendre comme l'aurait dû faire ton père avant de t'abandonner !»

L'épée se matérialisa en un instant, produisant un crépitement proche de celui des éclairs roulant dans les nuages noirs. La lévitation de son corps en mutation prit immédiatement fin. Qu'importe les coups et l'attaque portée, la poussière levée, rideau opaque empêchant l'adversaire de voir son ennemi mortel : surgirait bien assez tôt le Chevalier Noir. Mais avant une voix caverneuse à vous glacer le sang retentit, partout.

« Je ne suis pas ton père, mais demeurerait à jamais ton Bourreau, toi, et ainsi que celui de ta sœur dont tu as eu la bassesse d'esprit de révéler le nom véritable.»

Oui, il se jurait de les traquer jusqu'au bout, quitte à revenir sans cesse d'entre le Royaume des Ombres. À présent qu'il en était une, il serait bien aisée de glisser partout, pernicieusement pour les atteindre d'une quelconque manière que ce soit. Il y parviendrait, le Livre de Sang lui murmurait. N.F lui, naviguait dans le néant. Exclu de son esprit ô combien torturé, maintenant le Bourreau était prêt à l'ultime mouvement. D'un geste sec, il arma sa main pour fendre les airs. Le vent se leva pour le révéler. Le Cauchemar était né.

Se dressait devant Caedus un immense chevalier tout paré d'une noire armure complète. Son heaume brillait d'une lumière bleue et violette à la fois. Quelque chose de sanguin se dégageait de lui. Une rage folle aussi. Un chevalier déchu. Un fou. Porte-Mort dressée devant lui de façon à cacher la fente où émanait une énergie écarlate, il saluait Caedus sous sa forme nouvelle. Le nouveau Masque.

Ce n'était plus là la voix de l'ancien homme-sans visage, on aurait dit qu'une autre personne se dressait devant le Kraken.

« Ancien Tigre blanc d'Odin, tu seras éternellement celui qui abandonne ceux qui sont pourtant chers ! Ta seule compagne restera l'âme de cet ancien chevalier d'or, celui qui te chuchotes... Toi qui es trop faible pour lui résister ! Je sais qui tu es...»

Il brandit l'arme, cette épée superbe mais sombre à l'instar de cette voûte qui s'étalait au dessus de leur tête. Gilles de Rais s'arc-bouta pour crier avec force à la face de ce ciel. Un rugissement terrible. Frénétiquement, il se fendit pour frapper durement son ennemi. Dans sa rage, il tâcha de pourfendre de part en part le combattant en se focalisant surtout là où la lance avait trouée son armure dorée. Il n'y aurait plus de discussion possible maintenant qu'il était dans cet état. Tous avait fait qu'il sombre dans cette drôle de réminiscence.

« Meurt odieux traître, toi le Monarque sanguinolent ! Je t'écraserais comme un insecte !»

~ Because the battle is to the strong !

Le sans-visage ne bougeait plus. Sa silhouette tordue à l'extrême dans une pose pleine d'agressivité, heaume tourné vers la face du ciel, son cri ne semblait pas prendre fin. L'armure noire reluisait d'une manière malsaine, on aurait dit que suintait d'elle, un fluide vivant et repoussant. Plus noir que la nuit. Puis, il leva Porte-Mort devant lui, afin sans doute, de fendre les cieux fades. Le chevalier noir ne semblait plus présent, ne paraissait même pas écouter les propos de son ennemi. Tout son corps tremblait sous le joug d'une colère ancestrale. Sous cette forme, que pouvait-il bien ressentir, ainsi animé d'une telle fureur que rien d'autre n'importait.
La froidure n'avait aucunes emprises sur son être, totalement protégé par son armure. Ô autrefois celle-ci fut d'une telle magnificence ! Par le passé, quand Gilles de Rais la revêtait, c'était pour la gloire de la Chevalerie. Maintenant, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Bien pâle, en comparaison de celle de Caedus, bien qu'abîmée, rien ne pouvait lui enlever de sa superbe. Celle du Bourreau, à l'inverse, témoignait d'un passé sombre, d'une destinée bafouée par son ignominie. Sa chute causée par le feu. Sa Jeanne morte sur le bûcher et qu'il n'avait sut sauver ! Il la revoyait en cet instant même où l'ennemi fendait l'air pour donner l'assaut, léchée par les flammes. Pauvre Sainte-victime de sa propre foi !

Au dessus de leur tête, s'amoncelaient encore, de lourds nuages noirs. Que faire dans un instant de folie, d'aveuglement ? Car Gilles de ressentait pas les coups de son ennemi. Son enveloppe changeait. Dans sa volonté de lui nuire, Caedus avait-il au moins fait attention à ce détail ?

«Jeanne ! Jeanne ! Ô douce Jeanne !»

Ainsi étaient les suppliques du Bourreau. Il se laissa emprisonner par la glace. Tel des bras, celle-ci l'étreignit avec force. Le Général du Kraken n'aurait plus tellement à craindre de lui s'il ne bougeait plus de la sorte. Or ses chaînes n'allaient pas tarder à céder. Le soldat noir demeurait étrangement silencieux face à tout cela. Qu'est-ce que cela cachait ? Était-il encore en train d'élaborer un stratagème ? Ou se laissait-il sombrer dans sa folie vengeresse ? Personne ne pouvait le savoir. Mais ce silence, indéniablement, cachait quelque chose. Très lentement, il tourna sa face d'encre vers celui qui pensait en avoir réellement fini avec lui. Un rire malsain s'éleva.

«Inutile» fit-il en le laissant encore approcher de quelques pas. Il leva subitement ensuite la main vers les nues, brisant la glace comme si elle ne l'avait jamais entravé. Là, foudroyant, un éclair tomba littéralement sur lui, l'enveloppant d'une lumière blanche. Un linceul.

Quand la lumière s'évapora, le Marina put constater qu'il n'y avait personne embroché à ce pieu improvisé et froid. Sa stupéfaction pouvait être grande tant il s'imaginait déjà victorieux. La victoire n'était pas si proche. Gilles de Rais avait encore quelques tours à faire. Des cartes à dévoiler. Si la planète n'avait pas été aussi capricieuse, son triomphe, il aurait plus le clamer depuis quelques minutes déjà. Or, l'environnement hostile finissait par avoir raison de lui. Surtout si elle s'alliait à Caedus.

«Vient, attaque moi, finissons-en.»

Exhorta cette vois issue d'outre-tombe. Il n'avait qu'à lever la tête pour voir une forme noire, perchée sur un gros rocher. Porte-Mort pointer dans sa direction, le Chevalier Noir était menaçant, mais n'esquissait pas le moindre mouvement.
Il grondait d'impatience.

Tout serait bientôt finit.

Vivre ou mourir ?

Quel homme ne tombait pas dans pareil constat ? Face à sa condition de mortel, l'homme devenait un Sisyphe en puissance : forcé et contraint de subir les caprices des Dieux, eux qui nommaient cette fatalité, le cycle de la vie. Un équilibre parfait que l'on ne pouvait transgresser. Pourtant Gilles de Rais l'avait fait de son vivant. Alors, quelle devait être sa réaction quant à l'annonce de sa propre exécution ? Lui, le Bourreau déjà mort ? Car après tout, maintes fois il l'avait appréhendé, caressé du bout des doigts en ne faisant que l'effleurer. Aujourd'hui qu'il appartenait à l'armée du Sombre Empire, il se considérait totalement victorieux face à la Mort elle-même. L'être dont la Faucheuse au Pavot n'avait point voulut. À ses yeux, ce Dieu fut un rival dont il se riait sans cesse. Gilles de Rais n'eut pas l'occasion de le croiser encore. Mais l'heure viendra où il pourra se présenter à lui, la tête haute, ne manquant pas de lui rappeler qu'il avait échoué dans son entreprise.

Lui, le Briseur du Cycle !

Sa tête protégée d'un heaume aussi noir que la nuit, tournée vers son ennemi, ne cillait pas, comme si il fut par une main invisible, figé dans une position tendue, à demi agenouillée, un chasseur prêt à fondre sur sa proie. De la fente de sa protection, émanait un étrange fluide rougeâtre. Manifestation du poison de l'araignée : celle ayant accélérée sa folie. Maintenant qu'il contemplait l'abîme dans toute sa totalité parfaitement immobile comme une statue, le Chevalier Obscur pouvait être satisfait de voir celle-ci qui le contemplait aussi. Ô oui, toi être déraisonné, plonges ton regard dans le néant, il te regarde aussi ! Et il répondait au silence par le silence. Ce dernier pesait, alourdissait l'atmosphère déjà tendue. Le froid étirait ses bras pour finir de recouvrir la flore d'un manteau immaculé. Et le souffle des deux hommes s'élevait dans les cieux en un nuage diaphane, tourbillonnant. La tension était presque palpable tant on entendait pas même l'ombre d'un souffle. Les bulles qui s'évaporaient autour d'eux en libérant leur baume ne produisait même pas le moindre son. Comme si elles avaient comprit.

Oui comprit que la lutte finale était sur le point d'éclater.

Ce fut Caedus qui ouvrit la Ronde des Lames : éclatant dans son armure d'or, il rencontra la noirceur, lui opposant toute sa force, sa hargne et sa puissance. Ils rivalisaient tout deux en dextérité et vélocité. Quand l'un pensait avoir trouvé une ouverture, l'autre immédiatement le surprenait en contrecarrant ses projets. Des fines lames, mais en fin de compte, l'expérience commençait à démontrer son efficacité. Haletant, il fallait à l'adversaire un petit quelque chose. Un rien. Un brin d’originalité. Un grain de folie. Dansait dans leurs mouvements, la poudreuse qui scintillait comme l'argent : tout spectateur de cette joute serait fort étonné de la vaillance de l'un, de la rudesse habile de l'autre. Clairement, Gilles de Rais continuerait à avoir le dessus s'ils se contentaient à échanger des passes. Une dernière bravade après un temps d'arrêt, et tels deux éclairs retentissant dans le ciel, et les deux hommes se portèrent mutuellement un coup normalement mortel pour un simple humain.

Le souffle court, se tenant le côté Gilles de Rais respirait à grande peine, sa voix roque réduisant le silence à ces simples respirations. Un genoux à terre, il avait sciemment planté Porte-Mort dans le sol neigeux afin de ne pas basculer plus avant. Les poings serrés, il maugréait des paroles compréhensibles de lui seul. D'instinct, il releva sa face métallique quand il crut discerner dans le vent, une voix familière...

« Ô ma fleur de Lys, est-ce bien toi ?» souffla t-il assez fort pour que son ennemi l'entende « Ma précieuse Jeanne... comment ?»

Sous son second masque, il pleurait à chaudes larmes tant il était heureux de voir sa bien-aimée apparaître devant lui. Tout d'abord elle n'était qu'ombre blanche, silhouette indécise qui, peu à peu se précisait. Ses contours se dessinèrent avec plus de netteté et une femme très belle vêtue d'une robe blanche rehaussant le galbe de ses formes enchanteresses, se matérialisa comme dans un rêve. Et si il s'agissait vraiment d'un songe, il espérait que ce dernier durerait éternellement. La dame aux longs cheveux d'or, avec lenteur et une grâce sans pareille, se baissa quelque peu vers le Chevalier Déchu, prenant soin de prendre avec la plus grande des délicatesses, sa tête entre ses mains fines. Ce geste démontrait à quel point les deux protagonistes avaient pu être proches l'un de l'autre. Mais pas de la manière que tous pendaient. Un amour platonique, le vrai, chaste et pur. Or Gilles de Rais comprit toutes ses erreurs passées par cette simple apparition. Deux grands yeux azurs le regardait avec un mélange de tristesse et de tendresse mêlées. Puis, le Maréchal put lire dans ces deux beaux miroirs, la fin, sa fin. Leur fin.

Il n'eut pas le temps d'esquisser un geste qu'une lance transperça son armure, et une autre, et encore une autre. Mais pire que tout, fut cette vision où sa très précieuse amie fut empalée par l'un des pieux improvisé. Dans un râle de douleur et de rage, Gilles de Rais hurla à plein poumon, son désespoir.

« NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!»

Faisant fi de sa propre souffrance, le chevalier rattrapa sa belle avant qu'elle ne chute. Il tint un moment ce petit corps blessée mortellement entre ses bras, répétant sans cesse ce mot, cette supplique. Non, non ! Non, il ne pouvait la revoir mourir encore une fois. Son visage angélique pourtant, lui souriait innocemment. Un Ange ensanglanté. Sa mise se teintait de rouge, contraste saisissant avec l'immaculé de sa robe. Une dernière caresse sur le heaume froid et lisse, et sa main glissa, inerte. Avant que la présence ne finisse par s'évanouir en poussière de diamant.

« Pourquoi ?» questionna t-il « Pourquoi se jouer encore de moi de la sorte, destin cruel ? Pourquoi rejouer sans cesse cette tragédie, l’événement qui fut ma perte ? Pourquoi ?»

Puis se tournant vers Caedus : « POURQUOI ?»

Un nouveau cri terrible résonna partout avec une force inouïe. Sa voix caverneuse amplifia le caractère tragique de cette scène. Puis, fou de douleur, il laissa son cosmos exploser comme les milliers de lances avaient défiguré le monde. Gilles de Rais retira vivement les armes de glace une à une pour les renvoyer sur Caedus. Si brutalement, qu'il était impossible de voir ses mouvements. Sa rapidité extrême. Un foudroyeur.

Initium sapientiae timor Domini. !

Vivre ou mourir ? Le briseur de Cycle n'avait pas lui-même la réponse...

Quelque chose avait changé dans le court de ce combat. En réalité il n'avait été question que d'un enchaînement oscillant entre deux êtres convaincus de leur puissance. Un ballet éprouvant pour les deux partis. Mais l'un devait l'emporter sur l'autre, c'était ainsi que cela devait se passer. Un vainqueur, un perdant. Tous avaient pu constater l'absurdité de cette obstination. Quelqu'un, l'instigateur de cette belle mise en scène sans doute, se réjouissait allègrement de les voir se tenir tête de la sorte. On n'avait pas connu combat plus acharné depuis des années. Ceci était surtout l'avis de Gilles de Rais. L'homme vêtu d'une cuirasse noire commençait à ressentir les effets néfastes de sa propre condition. Malmené par les éléments, cette étrange planète n'avait fait qu'aller à l'encontre de sa force : en d'autres circonstances, peut-être aurait-il battu à plates coutures, ce Caedus, Général du Kraken. Or la question n'était pas là. Et l'armure tenait bon, quoi que son opposant ferait. Si son sang s'écoulait sans discontinuation de multiples plaies, l'armure en elle-même, comme une matière mue d'une volonté propre, se reformait.

Il n'y avait presque plus de traces de cette lutte acharnée. Sauf que les blessures demeuraient bien là. Et le Chevalier Noir en souffrait énormément. Sa colère ne diminuait pas, certes, mais le poison enlevait toute l'adrénaline que le corps malade du Seigneur de Rais avait put produire. Suite à son attaque ultime, le pauvre tenait presque plus sur ses jambes. Son souffle se résumait à un râle rauque, grave, parfois sa respiration se faisait sifflement. Comme un serpent. Cependant il n'avait pas la capacité merveilleuse de son ennemi à se régénérer de la sorte. Il apprendrait de ses erreurs. La prochaine fois il serait fort, plus fort.

La prochaine fois, il le battrait. Il l'emmènerait lui-même devant son Juge. Lui, le Bourreau insatiable de sang. Ses poings se refermèrent sur la terre sèche mêlées à la poudreuse quand de nouveau l'orage gronda puis éclata, laissant un éclair zébrer les nues, les teintant de violet pour ensuite frapper durement la silhouette agenouillée du Chevalier-Noir.

Il hurla, encore et encore, ne prenant point la peine de considérer son adversaire. Il puisait dans ses réserves, la force dont il avait besoin pour survivre. Car c'était à présent pour lui un combat de cet ordre. Tout du moins de se préserver. Car il ne pouvait pas mourir.

Fierté alors ? Ou crainte intestine de décevoir sa précieuse Impératrice Infernale ? Sa Rose Ténébreuse qu'il sentait perdue, désœuvrée, en danger . Quelque chose en lui fit échos à cette détresse.

«Dame... Perséphone... Votre serviteur... arrive...»

Dans un ultime effort alors que la douleur sembla lui laisser une once de répit, Gilles de Rais, Spectre de l’exécution, se releva encore une fois. Tout auréolé d'une lumière blafarde. Il pointa un doigt accusateur vers Caedus et cracha ces quelques mots.

« Si je dois perdre face à toi, saches que tu ne parviendras pourtant pas à me faire plier les genoux. Je perdrais debout, Porte-Mort brandie vers toi... Viens maintenant. Finissons-en.»

Il ne connaissait pas la Mort. Maintes fois effleurée, jamais côtoyée. Mais que Dieu lui soit témoin ! Quoique les gens pouvaient dire sur Elle, ils avaient tord. Honte sur ceux qui la restreignait en un sombre personnage fauchant la Vie. Il y avait l'autre face d'une pièce de monnaie. Une que personne avant lui, n'avait osé toucher. Lui, le Briseur de Cycle. Il ne craignait pas la Mort.
Immobile, le Chevalier noir contemplait son ennemi avec un mélange d'admiration et de rage. Perdre si près du but ne lui sied pas, or il devait se rendre à l'évidence qu'il avait gagné. Malgré les coups du Destin contre son entreprise, Gilles de Rais voyait cela comme une défaite bien amère. En d'autres circonstances peut-être aurait-il gagné. Non, il ne regrettait rien de cette lutte acharnée. L'homme resterait fier : il venait de gagner une rivalité qui le complairait à sans cesse se surpasser. Même dans la folie.

Et cela était bien réconfortant. Ô non, sa rage était loin d'être évaporée, croyez-le bien, mais la vue de ce spectacle le fascinait au plus haut point. Son regard fou détaillait le moindre mouvement de Caedus. Un jour, il reproduirait cette attaque à la perfection. Comme elle était belle, saisissante, cette manœuvre grandiose digne d'un stratège hors pair. Cela, Gilles ne l'aurait pas soupçonné : depuis quelques minutes, son adversaire s'était mué en un autre guerrier. Voilà donc sa facette sombre ? Ou lumineuse, qu'importe !
Une bien belle lutte s'achevait...

«Adieu, Seigneur Caedus.»

Prononça t-il alors que dans un chaos innommable, toute la planète trembla dans un concerto de lames fracassantes et d'explosions de magma. Le feu se dressa entre les deux adversaires, le Kraken ne pouvait à présent plus que distinguer les courbes noirâtre de cette silhouette tordue faite de métal. Seulement, comme il l'avait dit, le Masque ne tomba pas, pas plus que son nom véritable. Jamais, il n'aurait ployé, mit un genoux à terre.

Il reviendrait, plus fort.
Un cri épouvantable fit échos au clic clac des engrenages. Les rouages des Mondes étaient en branle... Tout était finit. Gilles de Rais venait de s'évanouir comme un nuage de poussière.

~ Fin du combat !

=> Sianok