Eilaine, tu veux bien rester derrière ? Je dois parler avec un vieil ami.

La petite aveugle, tout aussi discrète que Jara pouvait être intransigeante ne fit qu’hocher la tête, sûrement impressionner par l’état du Sanctuaire. Elle ne trouvait mot et s’exécuta alors, reculant pour s’amuser auprès des chats sauvages venus constater l’état des lieux après la bataille.

Jara n’avait pas traversé la Maison du Capricorne. Encore une fois, il s’agissait du genre de formalité auquel il tenait. Ce Temple avait besoin d’un Gardien pour être traversée et il ne le redeviendrait qu’après avoir fait ce qu’il y avait de nécessaire et retrouver le chevalier du Verseau qu’il avait abandonné à son triste sort après la Guerre Sainte était, en plus d’une nécessité, une priorité.

Il était à quelques marches du parvis du Onzième temple, s’il s’était retourné, il aurait vu le Dixième temple, celui du Capricorne. Jara prit une grande inspiration et sentit le vent très frais s’échapper de la Maison jusqu’à ses narines. Pas de doute, le Chevalier des Glaces était rentré. Ce vent le fit presque frissonner par son froid et fit même claquer son sherwani, pourtant d’un tissu plutôt rigide. À ce vent se mêlait l’air chaud de Grèce qui aurait presque rappelé son pays natal à l’Epéiste sacré.

Ça n’était pas dans son temple que l’ancien Capricorne allait retrouver son général. Non, après tout, tant qu’il n’était pas encore chevalier, il pouvait toujours se passer de formalités et profiter de ce statut. Jara se dirigea là où les odeurs l’emmenait, jusqu’à ce fameux banc. Il s’y assit, à l’ombre de l’olivier tout en regrettant ne pas entendre les aboiements d’un chien. Fier de pouvoir le faire à nouveau, Jara manifesta son cosmos, comme un appel, comme un mot que le vent vint emporter jusqu’au maître des lieux.

Cette sensation surprendra sûrement Kappa qui ne s’attendait peut être pas à revoir Jara un jour. Après tout, l’Elu de Makara lui-même ne s’attendait pas à revenir. Lui qui pensait que la quête dans laquelle il s’était lancé était folle et dénuée de raison. Jara avait honte d’être parti. Quand bien même cela avait été nécessaire à mesure qu’il observait Eilaine au loin s’amuser, cela n’avait jamais entraîné quoi que ce soit de bon pour le Sanctuaire. Athéna n’avait choisi que douze élus parmi toute l’espèce humaine et voilà que Jara s’était mis à les quitter de son plein gré. Il n’avait su être là lorsque le Sanctuaire en avait le plus besoin. Bien sûr, il n’était que pragmatisme. Son cosmos et sa lame disparu, il savait qu’il aurait été inutile sur le champ de bataille mais lorsqu’il avait vu la misère des réfugiés à Jamir, Jara savait que même son bras aurait fait la différence, aussi humain et non-éveillé avait-il été. Jara avait honte et la honte n’avait pas de place dans le cœur d’un chevalier. Il ne saurait récupérer ce qui lui revenait, là juste sous ses marches tant qu’elle subsisterait.

Jara faillit se lever pour aider Kappa à s’assoir mais il le connaissait, il savait n’en aurait pas besoin. Non pas que le Verseau se serait vexé sur une quelconque aide qui lui serait porté mais il connaissait ses propres limites et il n’y avait que lors d’un combat qu’il était prêt à les dépasser. À la fin d’une guerre, lui-même avait conscience du repos qu’il devrait prendre, c’est pourquoi il le laissa faire et eut raison puisque Kappa sut immédiatement qu’il ne serait pas à son aise sur ce banc et s’adapta en conséquence.

Tu as mauvaise mine, lui répondit-il immédiatement et aussi étonnant cela pouvait il paraître, son ton était plus chaleureux qu’à l’accoutumé. Ô bien sûr, pas de quoi fondre, après tout, il n’avait pas eu de réelles interactions sociales depuis des mois mais Kappa connaissait le caractère du jeune chevalier.

Pour la commodité de leurs rapports, à son tour, Jara se mit à terre, en tailleur, adossé contre le banc de pierre. L’ombre des feuilles d’olivier griffait son visage si bien qu’il ressembla d’autant plus à un fauve avec ses yeux perçants. On discernait à peine la cicatrice qui remontait le long de son cou jusqu’à sa mâchoire.

Il y a presque un an, sur ces mêmes marches, nous avions tous deux senti cette guerre approcher. Voilà, tu l’as gagnée. Tu nous as rendu le Sanctuaire, je t’en remercie.

Jara scrutait Kappa au point peut être de le rendre mal à l’aise mais ce visage qui aurait dû lui être le plus familier avec celui de Dohko ou Mashia ne lui rappelait plus grand-chose. Les ecchymoses, le sang encore chaud mais surtout cette fatigue. Malgré ce sourire sur son visage, le Mage des Glaces paraissait bien vide, tout comme lui il y a cinq mois à peine. Kappa était exténué, que ce soit physiquement ou psychiquement, depuis tout ce temps il avait tant donné…

J’ai retrouvé ma lame, oui… crois-le ou non, avec l’aide de Jack, le prêtre de Poséidon. Pourtant, malgré cette victoire, je n’ai cessé de compter les jours depuis que je suis parti – cent quarante-sept mais ça, il ne le dirait pas. J’étais retourné chez moi, en Inde, avec Eilaine, dit-il doucement tout en tournant le visage vers la petite qui jouait encore avec les chats. Il lui faudra une nouvelle occupation avant qu’elle ne se lasse. Je pensais n’y retourner qu’avant ma mort et c’est en quelque sorte ce que j’ai fait.

Jara arrêta son discours net comme si tout ce récit n’était pas le but de cette rencontre car c’était le cas. Il reprit la parole sur un ton que même le Verseau ne lui connaissait pas, celui d’un jeune garçon. Jara, qui n’avait que dix-neuf ans avait toujours agit comme un vieil homme aux portes de la mort car c’était ce qu’il envisageait comme la vie d’un Chevalier. Jamais il n’avait connu la jeunesse.

Kappa, je… je suis désolé d’être parti, de vous avoir tous laissé. Malgré la réussite de ma quête, je n’ai cessé de penser à tous ces cadavres cette terrible nuit, ces cadavres que j’ai abandonnés. Je ne suis pas là pour m’apitoyer, loin de là mais il fallait que je te le dise. Bien sûr, si je devais refaire ce choix, il serait le même car c’est pour elle que je l’ai fait mais la même hantise m’aurait frappé.

Jara s’étonna d’avoir autant parlé, cela faisait si longtemps. Lui qui était si laconique, si peu loquace mais après tout, cela restait cohérent. Il n’ouvrait la bouche que lorsque cela était nécessaire, lorsqu’une chose devait être dite, toujours dans l’utile et c’est pourquoi même lorsqu’il était revenu à Jamir, il n’avait jamais vraiment adressé la parole à ses anciens confrères de l’ordre.

Oui, diriger n’a jamais été synonyme de combattre, répondit immédiatement Jara comme pour corroborer les paroles de Kappa.

Jara parlait en connaissance de cause, lui-même, si jeune et pourtant il devait subissait le fardeau du soldat d’Athéna et du roi d’Avalon. Il devait être l’épée et la couronne. Bien sûr, il y a quelques temps, cette pression menaçait sa propre santé mais aujourd’hui il avait fait les sacrifices nécessaires. Tout comme Kappa, il n’avait cure d’être compris. Il n’avait jamais cherché à être compris, il ne faisait qu’agir conformément à ce qui devait être fait, il l’avait toujours fait mais cela prenait un réel sens à présent. Jara agissait, certes mais il n’agissait que lorsque le besoin s’en faisait ressentir. Il n’avait jamais été superflu.

Tu ne t’es pas battu pour eux.

Ses paroles furent tranchantes et peut être même choquante mais oui, Jara le pensait réellement, le général des armées n’avait pas récupéré le Sanctuaire ni pour Mattheus, ni pour Ishiro, ni pour Kyros. Il avait fait ce qui devait être fait et malgré les dissonances de son équipe, il avait gagné.

Quoi que tu dises, quoi que tu penses, tu as gagné. Regarde en bas, les villageois rentrent chez eux aussi. Cette bataille n’a jamais eu de portée individuelle. Tu t’es battu pour un ensemble, Saints et Rodoriens. Ils n’auront peut-être plus jamais confiance mais se battre a toujours été la seule option. Parlementer aurait été un couteau planté dans le dos de chacun des civils qui pleurent encore la mort de leurs proches après cinq mois.

Jara finit d’observer les villageois pour transpercer de son regard d’or Kappa.

Il faut savoir garder les idées claires. Pas seulement lors d’un combat ou d’une guerre.

Le bretteur fut étonné par la réaction du Mage des Glaces qui se déplaça pour placer sa main sur son épaule. L’espace d’une seconde, le porteur d’Excalibur faillit reculer, il avait déjà posé ses deux mains sur le sol. Il n’y était plus –pas- habitué mais laissa finalement son frère d’arme parler. Oui, ils étaient tous deux passés par l’autre côté. Chacun en a eu un souvenir différent et une réaction différente mais l’état dans lequel on en ressort est universel. Ça ne se voit pas, même pas dans le regard, ça se ressent. En effet, l’idéalisme était mort il y a bien longtemps. Jara a eu la malchance de voir ceci alors qu’il n’était qu’enfant mais son régime n’a pas pour autant changé.

Il faut des idéalistes sans quoi les personnes comme nous seraient déjà devenus folles par ce que la réalité offre mais plus que tout, c’est notre rôle d’empêcher les rêveurs de se brûler les ailes à voler trop près du soleil. Ils ont beau ne pas avoir confiance en toi, ne pas te comprendre, c’est ton… notre rôle de leur tracer la route.

Jara fut encore plus étonné par la déclaration suivante. Kappa venait littéralement de lui demander de partir. Alors qu’il suivit son regard, il se rendit compte que le Onzième Gardien regardait Eilaine. Non, il ne comprenait pas. C’était justement pour une rêveuse, une créature aussi pure qu’il devait rester.

Je n’ai jamais été un chevalier idéaliste Kappa. Lorsque j’ai accepté de porter cette armure –il tourna la tête vers la Maison du Capricorne en bas- je savais déjà ce qui m’attendait. La tristesse, la désolation ne sont plus des peurs. Ce sont des bagages que je porte fièrement car je sais où est ma place. La Chevalerie n’a jamais été une démocratie, le seul choix qu’on y fait c’est d’entrer. Une fois cela fait, il faut bien plus de résolution pour rester que pour partir. Je reste.

Même la mine marmoréenne de Jara dut se soumettre en répondant par un sourire discret à la déclaration du Verseau. Etrangement, si Jara avait toujours vu Kappa comme le plus capable de ses frères d’arme, c’était aujourd’hui qu’il le voyait comme un ami. Il avait confiance en lui, partageant les mêmes idéaux et la même vision du monde. Chacun des quatre-vingt-huit chevaliers d’Athéna avait sa propre conscience des idéaux de la Déesse mais là, le jeune Indien se reconnaissait vraiment en son homologue. Rien que ceci avait suffi à lui arracher un sourire, fait rare. Aucun des deux ne l’avait fait remarquer à l’autre par respect pour les secrets de chacun mais leurs discours mutuels étaient toujours ponctués de point d’ombre volontaire. En effet, ils n’étaient pas idéalistes. Leur pragmatisme leur faisait prendre conscience de la part de ténèbres dans leur cœur et ceci, ils l’acceptaient. Concevoir la Chevalerie comme un ordre de pure lumière serait une drôle de rêverie. Pourtant, malgré ce respect mutuel, Jara préféra pour une fois agir en ami.

Kappa, n’oublie pas que nos deux maisons sont liées, il marqua une pause. Si tu souhaites un jour te confier, sache que mon temple te sera toujours ouvert.

Loin d’être une simple formule de politesse, Jara le pensait vraiment. Malgré leur différence d’âge et d’expérience, les deux hommes avaient suivi une route les ayant conduit à la même destination. Peu de personnes pouvaient en dire de même et le porteur d’Excalibur savait à présent qu’il était toujours bon de savoir en qui avoir confiance.

L’Epéiste sacré se releva à son tour lorsque le Saint de Glace vint lui tendre la main. Lorsqu’il s’apprêta à faire de même, une lueur venue d’en bas le perturba. Le cosmos d’or qui se dégageait de la dixième maison répondit au regard de l’Elu de Makara qui comprit immédiatement. Comme si elle avait besoin de cette acceptation de sa propre part d’ombre, l’armure du Capricorne apparut alors aux côtés des hommes dans un flash lumineux. Jara, qui avait tendu les bras pour se protéger de la lumière les découvrit à nouveau et admira le totem zodiacal qui lui avait tant manqué. Sans aucun doute, la Cloth l’avait à nouveau acceptée comme son porteur légitime et loin de s’en réjouir seulement, Jara accepta sa demande qui résonnait dans sa tête.

Ma vieille amie.

Posant sa main sur l’une des cornes de l’armure, celle-ci s’illumina de nouveau avant de disparaître afin d’épouser les formes du porteur d’Excalibur. Il s’agissait de la renaissance de Jara du Capricorne. Il ne douta pas que cette discussion avec Kappa était sans doute la goutte d’eau qui suffit à l’éveil mutuel de l’armure et de son porteur. Comme-ci de rien était, le concerné se tourna à nouveau vers le chef des armées et lui répondit finalement en lui serrant la main.

Oui, bienvenue à la maison…

Jara observa alors Eilaine qui ne regardait que lui de ses yeux à la profondeur cosmique. Elle lui souriait ironiquement comme une mère fière de son enfant.

Kappa, attends. Avant que tu ne partes te soigner, sache que nous revenons avec quelque nouvelles. Malheureusement nous ne pouvons connaître le repos, Jara soupira et reprit son air professionnel, les Chevaliers noirs du Sagittaire et du Capricorne ont attaqué Jamir et le Grand Pope. L’un d’eux s’est échappé et l’autre a été capturé. Il se trouve en bas.

Jara se doutait bien de la réponse qui lui offrirait Kappa quand il lui proposa de se confier. Evidemment qu’il lui retournerait la demande, c’était à double sens. Il s’agissait alors bien plus d’un accord que d’un simple échange de politesses.

Entendu, répondit-il.

Lorsque le Capricorne le prévint des derniers évènements de Jamir, il se doutait bien que cela ne laissera même pas au Verseau le répit de soigner ses blessures mais il ne pouvait en être autrement, il devait être mis au courant quand bien même cela signifiait sa réaction immédiate. Nul ne savait la raison de cette attaque. Connaissant les agissements de Pséma, il semblait difficile de croire que son seul but aurait été de semer la discorde. Non, le Bélier noir avait toujours plus d’un tour d’avance et s’il était venu à Jamir, c’était peut-être pour faire diversion, récupérer quelque chose… Dans tous les cas, leur mission semblait avoir échoué. L’Ordre sombre s’était montré bien trop actif depuis la fin de la Guerre Sainte. D’abord, il semblait avoir libéré l’armure de Dohko et ses armes, maintenant cette attaque ? De plus, le Grand Pope était sur le point de récupérer la Cloth de la Balance lorsqu’il fut attaqué par le Capricorne noir. Pourquoi avoir rendu les armes s’ils étaient toujours protégés par Pséma et ses sbires ? Tant de questions qu’il faudrait poser au prisonnier bien que Jara ne soit pas dupe, Pséma savait s’entourer et nul doute qu’aucun de ses Black Saints ne serait du genre à parler.

Corell va diriger l’interrogatoire, Jara hésita un instant à continuer compte tenu de leur conversation mais se ravisa et fit ce qui était nécessaire, il sera sans doute épaulé par Ishiro du Phoenix.

Comme il s’en était douté, à peine eut-il prononcés ces noms que Kappa était déjà parti se rincer le visage ainsi que le reste de ses blessures afin de descendre. Son lit attendrait encore. Le Dixième Gardien fut ravi de la demande du Mage des Glaces puisqu’il ne faisait aucun doute qu’il allait au moins assisté à cet interrogatoire en tant qu’observateur. Cet homme qui avait failli assassiner Shion était supposé être son alter-égo, la vision du véritable Capricorne selon l’ordre de Pséma. Le Souverain d’Avalon ne pouvait laisser passer ça et se devait d’en juger directement. De tout son laconisme, il s’exprima avant descendre les marches aux côtés de son frère d’armes.

Je te suis.

Alors qu’il descendit récupérant Eilaine au passage, il se rendit compte du manque qu’avait été l’absence de ce cliquetis distinctif à chacun de ses pas.

Citation :

Entrée du Sanctuaire