Mon Trésor

Bon sang, pourquoi faisait-il si noir ici ?

Je me redressais dans un monde sombre, où je ne pouvais distinguer rien d'autre que l'intense clarté que je produisais moi-même. Mes mains étaient lumineuses, plus blanches que la lune. Opalescente, j'évoluais dans la nuit la plus obscure. Je jetais des regards troublés tout autour de moi, car, parfois, il m'arrivait d'entendre de faibles bruits dans le lointain.

Si proches et si éloignés en même temps.

Cette sensation troublante me gagnais peu à peu, comme une vive angoisse. Forte de celle-ci, et, convaincue de tomber dans un océan de tristesse de colère et de folie, je me pris à hurler. Crier, m'époumoner pourvu que l'on m'entende. Que l'on entende enfin ma Voix. Mais rien ne me répondit. Je me laissais alors tomber à genoux, les ramenant contre ma poitrine. Je restais prostrée là, quand, enfin, quelqu'un m'interpella. C'était une petite fille, pas plus haute que trois pommes, elle ne devait pas avoir plus de six ans et revêtait un drôle d'accoutrement semblant imiter … un pirate. Son cache-oeil improvisé avec du papier tomba, et elle me fit un beau sourire.

Je me trouvais face à moi, des années en arrière, toute auréolée d'une naïveté enfantine vite reléguée, vite balayée, vite étouffée par la réalité qui était nôtre à moi et ma sœur. Mais je me souviendrais toujours de nos rêves, et de nos trésors.

Mon Trésor.

Je le vis alors à travers « ses » yeux qui étaient en fait les miens. Agonisant, le visage en sang, il scandait la Déesse de me laisser revenir. Je baissais la tête pour serrer mes mains : bientôt, celles-ci n'étaient plus que des poings, des nœuds de phalanges blanchies. Je frappais alors dans le vide, encore et encore. « Rendez-lui sa liberté, elle a tant souffert ! » c'était vrai ! Dans un acharnement tel, je distribuais coup sur coup, matérialisant mes deux lames courbes : je frappais au hasard, mue par cette volonté de détruire cette prison où Amphitrite m'avait enfermé afin de me protéger. Sa voix était impénétrable !

« MAIS JE ME FICHE DE VOS PLANS ! » hurlais-je en fermant les yeux tout en abaissant ma lame. « Pourquoi es-tu si triste, Satine, si pleine de rage ? »

Poussant un petit cri de surprise, je découvris Astre posté devant moi, mon arme profondément plantée dans son ventre. Je le regardais sans comprendre tandis qu'il m'offrait l'un de ses sourires béat. Déjà, un liquide vermeil s'écoula de sa bouche. Il cracha, recouvrant mon visage de son propre sang. Je lâchais mes lames qui n'émirent aucuns sons en chutant. Mes mains devant ma bouche je secouais la tête.

« Ta liberté à un prix, il en a toujours été ainsi. Tu n'as jamais réellement sut briser tes chaînes. » Le corps d'Astre s'évanouit pour laisser place à celui de Celsius, touché lui aussi, blessé mortellement. Lui aussi m'offrait l'un de ses rares sourires. Puis ce fut le tour de Calista, de tout ceux que j'ai pu aimer dans ma vie et que je perdais toujours à un moment où à un autre. « Qu'est-ce que cela veut dire ? Que je suis condamnée à voir périr tout ceux que j'aime ? Que je suis l'origine de leur perte ? Non, non, NON ! »

Non ! Je ne perdrais pas mon dernier trésor.

La Déesse se relevait avec douceur et souplesse, malgré les larges blessures qui barraient son corps. Elle chassa sa chevelure blanche, et s'immobilisa. Voilà donc la puissance de Moloch'Baal … songeait-elle en sentant d'un seul coup, une plus vive souffrance l’étreindre. Pour la première fois, son masque parfait d'impassibilité vola en éclat ! Pliée en deux, bien vite, l'un des Djiins lui porta assistance, elle le repoussa d'un geste autoritaire. En baissant les yeux sur son corsage déchiré à maints endroits, elle vit le Stella Rubius vrombir. Son regard améthyste devint alarmé, Amphitrite avait peur.

« Que … »

« Laissez-moi sortir ! » fis-je alors que la Dame des Flots titubait, semblant contenir ma hargne, ma détermination. « Ne fais pas sa, Satine ! Tu vas … »

Il était trop tard. Je n'avais pas compris toute la portée de mon geste. En faisant fi des avertissements de ma Déesse j'allais faire se répéter une scène que j'avais déjà vécut : la mort de Fawn … Je posais mon regard sur Arbhaal, un regard si triste … Non, j'allais, par ma bêtise, le faire succomber ! Un œil pourpre, un œil vert.

« ARBHAAL ! »

J'étais une bombe à retardement, dans quelques secondes, j'allais déverser sur le Sanctuaire, une tempête sans précédent. Sur le point d'abandonner, je fis la seule chose qui me passa par la tête.

Je plantais l'une de mes épées dans mon cœur. Ainsi, mon sang s'écoula à flot, ainsi la catastrophe serait évitée. En partie. Car une orbe échappa à mon contrôle, se précipitant vers le Spectre. Réunissant mes forces, je me téléportais à ses côtés au dernier moment pour absorber avec lui une partie de cette vague. Je le serrais si fort contre moi, mon trésor.

L'avais-je perdu lui aussi ?

N'osant bouger, je restais ainsi, le serrant fort contre ma poitrine blessée, pleurant à chaudes larmes. Ma chevelure se déversait tout autour de nous, comme une corolle, une fleur de sang. Au prix de ma propre vie, je lui insufflais un peu de mon essence vitale, jusqu'à menacer de sombrer dans l'inconscience.

« Ne me laisse pas. »

Mon Trésor.