De nombreuses pensées bouillonnaient en mon fort intérieur. Bien que courte, cette réunion entre spectres m’avait apporté bon nombre d’informations et de sujets de préoccupations. Mon premier sentiment envers mes deux pairs collait avec la relation que je m’étais imaginé. Méfiance, rivalité. Outre le fait que le seigneur Hadès ait désigné le juge du Griffon pour parler en son nom, ce dernier avait semblé plus neutre, moins épidermiquement hostile à mon endroit. Cette attitude n’allait pas endormir ma prudence naturelle mais une collaboration semblait envisageable. Je n’avais que peu vu nos subordonnés mais je comptais bien remédier à ce manque dès mon retour du royaume sous-marin. Etablir une relation avec les spectres mineurs demeurait nécessaire. Mais au cas par cas, pour séparer ceux qui mériteraient un traitement plus humain, et ceux qui ne connaissaient que le rapport de force et la violence. A la vue de l’imposante porte des enfers, mon esprit se tourna vers le but de ma mission. Je restais étonné dès mon éveil d’être mandaté pour un objectif aussi sensible et ambitieux. Toutefois, je ne comptais pas m’en plaindre, car il s’agissait réellement d’une manière idéale de prouver ma valeur et de tisser des liens solides avec d’autres royaumes. La diplomatie pouvait devenir une clé majeure dans la stratégie entreprise par le seigneur Hadès. Comment Mary allait-il accueillir ma venue ? Elle connaissait ma nature mais de là à voir arriver un des trois juges des enfers devant elle… Certes, je n’avais pas fondamentalement changé depuis notre première rencontre, mais mon surplis pouvait se dresser entre nous tel un mur infranchissable. Fadaises ! Une règle principale sur laquelle se basait mon amitié avec la sirène demeurait le fait de ne jamais juger l’autre. La belle avait de biens noirs secrets et pourtant, je n’aurais pas eu l’idée de lui en faire reproche. En mon for intérieur, je ne pouvais que souhaiter que la réciproque demeure réalité. Alors que j’allais passer sous l’arche intimidante qui devait me mener vers la lointaine lumière du monde des mortels, l’apparition d’un cosmos désormais familier me fit stopper le pas. Interloqué, je me tournais vers l’individu en question et l’apostrophais d’un ton calme.


Les sens en alerte, j’attendis avec fébrilité une réponse, sans montrer mon impatience.

En entendant ce timbre de voix, désormais familier, mon souffle retrouva sa quiétude coutumière. Je n’avais aucune raison de m’inquiéter en présence de mon pair, même si ma prudence naturelle restait la règle. Mes longues réflexions semblaient m’avoir suffisamment retardées pour que Minos demeure en mesure de me rattraper sur le chemin qui mener vers la sortie des Enfers. Mais au final, l’opportunité s’avérait trop belle pour la laisser choir. Je n’avais pas réellement eu l’occasion de deviser avec le juge du griffon, même si au premier abord il m’avait semblé bien moins antipathique qu’Aiakos du Garuda. Peut être étais-ce là l’occasion d’en apprendre davantage sur le spectre que le seigneur Hadès avait désigné pour mener ses troupes. D’un pas lent et sans trace d’agressivité, je m’avançais vers Minos avant m’adresser à lui.


Dans un geste à la lenteur calculée, je levais ma main droite, paume vers le ciel, sans pour autant quitter des yeux mon interlocuteur.


A une vitesse fulgurante, je propulsais une monstrueuse boule de feu sur Minos, vite suivie d’une nuée de projectiles similaires, destinés à noyer mon adversaire du moment sous un flot de magma. Voyons un peu si Minos s’avérait autant guerrier que chef de clan !

Minos n’avait pas mis longtemps à accepter mon amical défi. Soit mon pair avait compris mon désir de le jauger, dénué de sous-entendus liés à son statut de représentant du seigneur Hadès, soit son honneur de juge le poussait à répondre à ma provocation. Dans les deux cas, le combat promettait un moment intense. D’un coup d’œil, j’avais évalué que Minos était doté d’une vitesse comparable à la mienne. La rapidité avec laquelle il avait invoqué un étrange fil pour dévier mon assaut était digne d’intérêt. Ne pas avoir paré ma boule de feu à main nue pouvait être un signe d’une affinité avec le combat à distance plus qu’au contact. Une antithèse de mon propre style. Parfait. Outre sa posture clairement provocatrice, Minos tenta de me mettre en rage en sous-entendant une éventuelle rivalité entre lui et moi pour le poste qu’il occupait actuellement. Une telle manœuvre aurait probablement eut un effet immédiat sur l’ambitieux Aiakos. Mais le griffon semblait ne pas se rendre compte que je ne cherchais en rien à le déloger de son trône. De par ma soif de liberté, je n’avais aucune envie de me laisser entraver à diriger les troupes des enfers. Je préférais servir mon dieu à ma manière, en solitaire. Que Minos puisse imaginer en moi un ennemi demeurait comique. Mais compréhensible. Gratifiant mon pair d’un sourire énigmatique, je m’élançais dans sa direction en usant de la puissance des ailes de mon imposant surplis. La violence de l’impact aurait eut de quoi fracasser la roche la plus dure. En serait-il de même pour le corps du griffon ? S’il semblait ne pas gouter le contact, je n’allais pas me priver de le pousser vers ce terrain. Parvenu au corps à corps, j’entamais un ballet guerrier dans le but de tester la réactivité et les défenses de mon adversaire.


A mesure que ma vitesse s’intensifiait, la température devint insoutenable. Je tentais alors une feinte. Je concentrais toute ma force physique dans mon poing pour obliger Minos à l’esquiver. Au prochain mouvement de sa part, ma seconde main déverserait sur lui toute la fureur du feu infernal qui coulait dans mes veines. Le juge allait-il pouvoir s’extirper de mon piège ?

Minos semblait avoir pris toute l’ampleur du défi qui l’attendait. Je ne comptais lui faire aucun cadeau car j’avais grand besoin de cerner son potentiel. En toute franchise, je ne nourrissais pas de réel doute sur ses capacités, reconnues par le seigneur Hadès en personne, mais mon honneur ne souffrait nulle conjecture. Machinalement, je serrais les dents en sentant le vent devenir tornade et m’emporter par sa furie. Rapide, vif, réactif, maitre de son élément, mon pair du griffon venait de me surprendre mais ce fait n’était pas véritablement involontaire. Un sourire torve se dessina sur mes traits lorsque mon cosmos s’amplifia. Mes ailes me permirent de conserver un semblant d’équilibre mais je ne m’en servis pas pour dissiper la bourrasque puissante. Bien au contraire. Un véritable combattant se devait d’user de toutes les armes à sa disposition non ? Profitant de la force du vent violent, j’invoquais toute l’ampleur du feu noir qui coulait dans mes veines. La tornade devint alors un braiser infernal sur lequel je m’élevais bientôt pour planter mon regard amusé et provocateur dans celui de mon adversaire.

Le vent et le feu constituent un subtil mélange, qu’en dis-tu ? Laisses moi te rendre la politesse…

J’emplis mes poumons d’air avant de relâcher un cri inhumain, bestial, draconien qui balaya la scène du combat d’une onde dévastatrice. Le hurlement de prédateur de la Wyvern propulsa toute la tornade enflammé sur Minos, que j’espérais déjà déstabilisé par mon attaque sonore. Nul doute que mon pair ne faiblirait pas face à cet audacieux assaut, mais j’espérais le surprendre suffisamment pour le blesser, ou du moins lui imposer une pression psychologique dont je pourrais user tel un avantage décisif.

Il s’en était fallu de bien peu. Face à la déferlante née de l’opposition entre mes pouvoirs et ceux de Minos, j’avais couru le risque de subir de lourds dommages. Conscient du danger, j’avais usé de mes ailes et de la rapidité qui constituait l’un de mes points forts, pour m’éloigner de la zone d’impact. Commençant à cerner mon confrère et son potentiel, je ne doutais pas de sa capacité à lui-même se sortir de cette situation sans accroc. Sans grand mal, Minos était parvenu à mettre en échec mes tentatives pour l’affaiblir. Au moins, cet entrainement était utile. La puissance du juge du griffon avait le don de me galvaniser. Surtout que je n’avais pas encore montré toute l’étendue de mes capacités et je comptais bien lui porter au moins un coup. Au vu de nos profils pour le moins différents, j’avais une carte à jouer. Il fallait tenter de le prendre par surprise, car sur le long terme je craignais d’être mis en difficulté. Ce n’était probablement pas pour rien que le seigneur Hadès l’avait désigné régent des enfers en son absence. Profitant des quelques secondes durant lesquelles Minos ne pouvait savoir si j’étais blessé ou non, suite au précédent assaut, je fis exploser mon cosmos pour accroitre ma vitesse à son paroxysme. En un battement de cils, je fus sur lui. Le regard combatif, le corps nimbé de flammes sombres, je gratifiais Minos d’un déferlement de coups redoutables. Un danse de mort, où la moindre erreur pouvait se payer au prix fort.

Borné, têtu, déterminé, hargneux, je frappais vite, fort, sans repos ni fatigue pour chercher LA faille dans sa garde. Lorsque je crus la distinguer, j’usais non du coup susceptible de toucher mon confrère mais d’un autre moyen, plus direct. Galvanisé par la soif de sang qui ne cessait de croire en mon for intérieur, je braquais mes mains vers le torse de mon confrère pour relâcher au contact toute la force que je pensais pouvoir dévoiler sans le blesser grièvement.

GREATEST CAUTION

Que le griffon goute donc à mon attaque la plus redoutable ! Qu’importe le vainqueur au final, tant j’avais déjà eu l’occasion d’aller au bout de moi-même au cours de cet entrainement, riche en promesse et en enseignements.

Mon assaut avait enfin eu l'effet escompté : Il était hors de question de laisser Minos croire que je n'étais que l'une de ces marionnettes. Malgré ma retenue dans mon attaque, je dus humblement admettre que le juge du griffon possédait un pouvoir hors normes. Dans un combat réel, je doutais d'être en mesure de le vaincre. Une excellente raison pour parfaire mon expérience. Étonné mais ravi, je le vis me tendre la main, un geste incongru mais fort à propos. Une première marque de considération et de confiance peut être ? Ma surprise fut à son comble lorsque mon homologue daigna m'appeler par mon véritable prénom.

Je dois dire que je suis ravi d'avoir croiser le fer avec un adversaire de ta trempe, Minos ! Je m'attendais à une rivalité malsaine, où l'un devait forcément écrasé l'autre, comme deux loups avides de prouver leur supériorité. Ce fut tout le contraire. Je comprends pourquoi le seigneur Hadès t'a choisi pour nous guider en son absence.

Je pressentais une envie de poursuivre ce combat, d'offrir tout, de dépasser les limites. mais nous allions mener une guerre d'ici peu et un tel acte ne serait que folie stupide. Partageant mon sentiment, Minos prit congé avec la promesse de ne pas retenir ses coups. Parfait, je comptais bien suivre également cet objectif. Je lui répondis uniquement d'un sourire complice, déjà avide de me retrouver face à un tel adversaire. Non pour le défaire, mais pour prendre plaisir à tenter.