Incarnation d'une chimère

Le silence. Fascinant mélange de calme et de tension selon comment on l'interprétait. Propice au sommeil, et donc au rêve. Le silence peuplait comme toujours Morphia et les autres dimensions oniriques.

Ce même silence, légèrement troublé par des éclats de voix en contrebas, fut parcouru tout à coup d'ondes cosmiques importantes. Pacifiques et poétiques, mais importantes, à tel point que les trois spectres présents à Giudecca ne pourraient que remarquer cette puissance qui approchait.

Cela semblait surgir de nulle part, emplir l'espace, annoncer la venue d'un être au-dessus des mortels. Et c'était exactement ce qui allait se passer.

Un son mélodieux résonna peu à peu, de la même provenance que le cosmos étranger. Il se mua lentement en un chant doux incompréhensible, puis en ode reconnaissable à tous ceux qui connaissaient encore un peu les langues anciennes -ici le latin.

Tout à coup, des doigts surgirent du terriblement imposant Mur des Lamentations. Suivis d'une mains, d'un bras et d'un corps, ils laissèrent bientôt place à tout un être. C'était lui qui chantait avec mélancolie. Il cessa lorsque, émergé complètement de la dimension des dieux, il sentit la présence de spectres un peu plus loin.
D'un simple geste de la main, il décora l'endroit de candélabres d'or massif, d'un tapis rouge aux broderies élégantes, d'un ou deux lustres placés de telle sorte que mille reflets éclairent le prince des rêves et des cauchemars pendant que celui-ci s'avançait et descendait les marches menant au trône d'Hadès.
Son cosmos s'étendait paresseusement comme un serpent aurait déambulé jusqu'à son repaire.

Le dieu décida de ne pas perdre de temps. Les heures étaient sombres -ne l'avaient-elles pas toujours été en Enfer ?- car Hadès n'était plus. Plus en ce monde en tout cas. Il y avait un très long moment que l'Oracle n'avait plus choisi de corps humain pour se déplacer dans cette dimension et il avait hâte de voir les changements qui s'y étaient produits. Pendant que son agneau d'humain reposait paisiblement dans les limbes de son esprit tourmenté par la culpabilité, le fils d'Hypnos rattraperait le retard qu'il avait accumulé pendant son absence. Beaucoup de pièces n'avaient pu être jouées. Beaucoup d'acteurs avaient attendu en vain leur metteur en scène. Les Oniriades allaient pouvoir reprendre. Au nom d'Hadès, la mort deviendrait un délicieux cauchemar. En théorie. Le monde avait besoin de rêver, de s'évader de lui-même, depuis la nuit des temps...

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