Sombrer dans la noirceur.
Antiokus avait fait de moi un fantôme incapable d'interagir avec le réel. Une ombre, désemparée, inapte à agir contre le destin. La première fois, je n'avais pus que regarder impuissante, le probable trépas du disciple des Corbeaux, à présent, je ne pouvais rien faire ni dire pour rassurer le jeune homme. Visiblement en colère, il maudissait déjà les manières peu conventionnelles de mon maître. Il était vrai que depuis son apparition, ma perception du Monde changeait, moi-même ressentait les prémices de cette mutation. Elle s'opérait en moi, comme le ferait un poison. Étrangement, je savais que cela n'étais pas nocif pour moi, une voix dans ma tête me murmurait que je prenais la direction du sentier que l'on avait dessiné pour moi. Ces mêmes voix qui m'avaient bercé le jour de ma naissance. Coïncidences? Je n'y croyais plus.
Mon corps se trouvait couvé par les bras protecteur d'Antiokus qui cheminait je ne sais où. Son énergie cosmique me recouvrait tel un linceul, un cocon diaphane et immaculé, il me protégeait contre les effets pernicieux des Enfers. D'ailleurs, je pouvais les voir. Ces âmes décharnées. Elles me suppliaient de les libérer de leur prison. J'aurais tant désiré accéder à leur requête, les voir s'échapper de la Vallée des Amoureux, mais je n'en avais pas le pouvoir hélas. Les paroles de Serafim me firent réagir : il n'avait pas tord d'éprouver autant de méfiance à son égard, et j'attendais la réponse de mon maître. Elle ne tarda pas, d'ailleurs, les interrogations du jeune homme l'amusèrent beaucoup, je l'entendis ricaner dans sa barbe.
~Tu ne crois pas si bien dire jeune homme! Après tout, on dit bien de moi que je suis l'enfant d'une pucelle et d'un démon! J'en ai entendu dans ma vie de pareilles inepties, mais celle là je dois dire qu'elle me fait particulièrement rire.~
Je ne pus m'empêcher de penser :
~° Cher maître, vous tenez plus de la pucelle!°~ Un regard dans ma direction, et je fis la grimace. Il m'avait entendu! Décidément, il y a des moments, où il faut savoir tenir sa langue. Je n'ai pas cette qualité hélas.
~Mon élève est d'humeur taquine! Aurora, comment-te sens tu?~
Je fronçais les sourcils suite à cette question. Mon regard rencontra le sien et je fus certaine qu'il me voyait réellement. Je tendis une main vers lui, translucide avant d'effectuer une pirouette dans les airs. Je volais. Cette sensation, malgré la situation qui ne s'y prêtait pourtant pas, me rendais euphorique.
Libre.
~Je prends cela pour un oui, ma petite faie! -puis, se tournant vers Serafim- Rassures-toi, elle va très bien, elle est là, toute proche de toi, elle te surveille.~
Si mes joues pouvaient s'empourprer, en cette instant je serais aussi rouge qu'une pivoine! Mon maître s'amusait beaucoup avec les mots, les sous entendus qui en découlaient... à mes dépends.
Je lui lançais un regard faussement courroucé, avant de faire la moue. Mais il n'avait au fond, pas tord. Sous ma forme spectrale, je virevoltais autour de lui, pleine de légèreté. Débarrassée de ce poids qui pesait sur mon âme.
Sereine.
Quelque part, l'éclat d'une voix me parvint. Je fis volteface les yeux agrandis pas la surprise. Kappa. Ô cher Verseau, auras-tu un jour le courage de me pardonner? Car il le fallait, il m'était impossible de te faire espérer qu'un jour... je puisse te revenir. Là bas... je ne suis sûre de rien.
Non, je ne savais pas si je reviendrais, en vie.
~Non Aurora, tu ne reviendras pas. Pas ici en tout cas. Pas ainsi.~ Déclara d'un air énigmatique, Antiokus. Là encore, ces paroles me déroutèrent, il agissait toujours de la sorte? Par sous entendus et énigmes? Je ne pouvais croire qu'un seul homme puisse abriter tant de mystères. Il me réservait encore beaucoup de surprises. À contrecœur, je continuais ma route, sentant encore la souffrance du Chevalier, ultime coup de poignard.... il n'avait pas besoin de cela maintenant, surtout pas. Seulement, mon maître là encore, restait l'instigateur. Le maître et le guide.
Il s'arrêta, levant une main vers le ciel tout en soutenant mon corps sans vie. Le rouquin marmonna quelques mots que je ne compris pas. Sa force, explosa littéralement. Subjuguée par les mouvements de cette mains qu'il faisait valser dans le vide, un signe luminescent se dessina sur sa paume brandit devant lui : je reconnus ce symbole druidique et sa signification. De cette pâle lueur bleutée, naquit le mot «voyage» Et en l'espace d'un instant, je nous vis nous volatiliser.
Pour atterrir ailleurs. L'entrée des Enfers. Bien éloignés de la porte, notre présence était dissimulée par une aura grandissante, titanesque! Mais étrangement rassurante. Je portais mon regard au delà de l'horizon. Vers le ciel.
Le druide ne prononça pas un seul mot, il se contenta de mettre un pied devant l'autre avant de se retourner de nouveau vers le jeune homme. Mon compagnon de voyage.
Sans mot dire, et d'un coup œil entendu, il confia mon enveloppe à Serafim, lui demandant d'en prendre grand soin. Moi, je me demandais seulement quand est-ce que je pourrais réintégrer cette dernière.
Entamer ma renaissance.
Mon éveil.