L'empire sous-marin...
Sigma y mettait les pieds si peu souvent qu'il avait presque oublié à quoi il pouvait ressembler.

Depuis quelques temps, sa vie avait changé par la force des choses. Tout d'abord remplacé par un imposteur, Poséidon avait ensuite du assumer les conséquences de ses actes et le conseil décréta qu'il fallait l'enfermer. Une sanction injuste que Sigma aurait volontiers contesté si on lui en avait donné l'occasion. Le dieu des mers était un homme bon, il lui avait donné un abri et une raison de vivre tout en lui montrant le vrai visage de son entourage. Sans son concours il serait sans doute toujours en train de vivre dans l'ignorance. La sentence était inacceptable et si il était impossible de la contredire alors il se débrouillerait pour orchestrer son évasion. Enfin, c'était ce qu'il aurait aimé pouvoir faire, dans les faits c'était autre chose.

Cela faisait plusieurs années qu'il était entré au service de Poséidon mais personne n'avait dû entendre parler de lui. Le propre d'un assassin est de se cacher jusqu'au moment où on fait appel à ses services... Personne ne pourrait le reconnaître, ni lui ni sa légitimité. Il n'avait pas non plus d'écaille qui puisse prouver qu'il soit bel et bien aux ordres du roi des océans. Même si on avait pu l'identifier il n'avait pas l'autorité pour fédérer qui que ce soit et pouvait tout au plus suivre les consignes données. Ce ne serait pas à lui de décider. Quelle ironie, c'était maintenant que le cadeau que lui avait promis Poséidon serait le plus utile et il n'était plus là pour le lui donner...

Pourtant s'il s'était donné la peine de faire le voyage jusqu'ici c'était parce qu'il s'y était senti obligé.

D'habitude, il n'y venait que pour recevoir un objectif à remplir. Mais la seule personne habilitée à lui donner les ordres reposait au fond d'une urne d'où il ne pouvait l'entendre. Poussé par la curiosité il était tout de même venu, non sans se méfier. La divinité l'avait mis en garde contre ceux qui pourraient découvrir son existence. Par jalousie ou par indignation pour ne citer que ça certains pourraient décider de lui faire sauter la tête. Il n'avait pas peur, le pouvoir qu'on lui avait donné palpitait toujours dans son bras gauche et il était prêt à en faire usage si on devait lui vouloir du mal. Ça n'aura pourtant pas été le cas, en tout cas jusqu'à ce qu'il arrive à destination. Avec le temps sa maîtrise de la cosmo-énergie avait atteint des sommets et il pouvait la ressentir de très loin avec une précision quasi-diabolique.

Pas difficile donc de déterminer que l'appel avait été émis depuis un endroit précis. Cet endroit se trouvait être le pilier de l'océan indien. Il ne s'en était jamais approché d'aussi près parce qu'il n'en voyait pas l'utilité et ne mesurait que maintenant leur taille réelle. Le sifflement admiratif qu'il voulut faire mourut entre ses lèvres quand enfin il comprit. Devant ce même pilier l'attendait l'écaille qu'on avait toujours voulu lui donner, celle de Chrysaor. Pourquoi elle plutôt qu'une autre ? Et bien cela expliquait au moins pourquoi Poséidon lui avait remis une partie de la force de son trident au lieu de lui mettre une autre arme entre les mains. Mais peut-être qu'il se trompait, et il n'y avait qu'un seul moyen d'en avoir confirmation.

Viens à moi mon écaille...

Les plaques d'armures se désolidarisèrent les unes des autres et allèrent se greffer de part et d'autre de son corps jusqu'à le recouvrir entièrement. Sans même se regarder dans le miroir il savait qu'il avait fière allure ainsi, et qu'en effet ce ne pouvait être qu'elle. La synergie qui s'opérait était trop limpide pour que ce soit une fausse impression. Seule la lance n'avait pas osé venir dans sa direction et pour cause : elle s'était rendue compte qu'il avait déjà mieux à disposition. Sigma eut un léger sourire moqueur et avança pour la prendre en main. Ce n'était pas une mauvaise arme mais elle n'était pas à la hauteur de celle qu'il avait déjà. Il passa un long moment à l'examiner et finit par la serrer plus fort. D'un coup sec, il la planta dans le sol de manière à ce qu'elle soit parfaitement à la verticale devant le pilier dont il aurait la garde à partir de ce jour. Un nouveau général était né et son nom était Sigma de Chrysaor.

En plantant sa lance dans le sol il déclarait être en territoire conquis. Son territoire. Ses règles. Et on venait l'y chercher. Il avait toutes les raisons de se sentir chez lui parce que même s'il ne s'y était pas aventuré il connaissait les moindres recoins du royaume englouti. La nymphe ne pouvait bien sûr pas le savoir et c'était tant mieux d'ailleurs. Il ne tenait pas à ce que l'ancienneté de son voeu de fidélité soit découvert. Être un nouveau venu parmi tant d'autres lui convenait même si son assurance risquait de le percer à jour. Étant mauvais comédien il ne se fatiguerait toutefois pas à chasser son naturel, tant pis s'il devait être découvert. Advienne que pourra. La mine neutre il attendit de voir ce qu'elle avait à lui dire.

Qu'elle apparaisse à l'instant précis où il avait obtenu son armure ne pouvait vouloir signifier qu'une chose, on l'avait envoyée vers lui dans un but précis. La mine fermée il écouta attentivement et s'empara ensuite du parchemin qui lui était tendu. Devoir prendre le commandement ne l'arrangeait pas mais il n'en laissa rien paraître. Solitaire dans l'âme et habitué à agir dans l'ombre il se voyait difficilement diriger une force armée mais était apparemment bien parti pour devoir apprendre sur le tas. Il avait bien fait de ne rien dire à propos de ses services rendus à Poséidon. Au moins, il aurait une excuse toute trouvée en cas de problème.

Très bien je m'en occupe.

Inutile de lui en demander plus, elle n'était qu'une messagère. Ce qu'on lui demandait était de lui amener cet objet et pas de répondre à ses questions. Il n'en avait de toute façon aucune, l'ordre était clair et on l'avait habitué à les suivre sans chercher à comprendre. Par contre le contact qu'elle avait évoqué piquait au vif sa curiosité mais il en saurait plus bien assez tôt et se passa d'en dire quoi que ce soit. Poséidon avait calculé son coup avec minutie en le faisant venir car il était arrivé au bon moment, ne restait plus maintenant qu'à voir ce qu'on lui réservait une fois sur place. La néréide s'en alla et il s'empressa d'en faire de même. Il était attendu ailleurs...