Prendre sa vie ? Paradoxal. Surtout connaissant celle qu'il avait menée ces dernières années. On ne pouvait pas dire qu'elle avait été glorieuse, nonobstant sa nomination en tant qu'élu. Il était désormais porteur de l'un des sept saphirs d'Odin, qu'il avait pour obligation de défendre farouchement même au péril de sa vie s'il le fallait. La pierre précieuse fichée au centre de son plastron ne faisait que lui rappeler le serment qu'il avait prêté. Il avait un devoir à accomplir et ce n'étaient pas les paroles en l'air d'un cafard d'Hadès qui le feraient battre en retraite. Les fissures qu'il pouvait voir parcourir le surplis de son ennemi ne faisaient qu'en rajouter une couche au ridicule dont se drapait cet ennemi providentiel. Déjà blessé, l'odeur de son sang parvenait à émoustiller l'odorat du fauve du grand Nord, qui n'en était que d'humeur plus propice à le dépecer sur place. Par chance, aussi vide de sens que soient les paroles de cette proie de choix, il ne semblait pas vouloir prendre la fuite et relevait même le gant, apparemment sans réaliser que sa santé déficiente serait un lourd handicap pour lutter à armes égales.

De son côté, Sköll était plus en forme que jamais et ne souffrait pas de la moindre égratignure là où le Juge n'était déjà plus que corps abimé et ensanglanté, comme le laissait entendre la fragrance affutant les sens déjà en éveil de celui qui serait son adversaire. Le corps reposant non loin de leur point de rencontre semblait avoir été spécialement neutralisé afin d'être réduit au silence, plus inoffensif qu'un chien tenu en laisse – pour rester dans les métaphores canines. Bien qu'il soit totalement incapable d'identifier les racines d'un cosmos pour en déterminer le camp d'appartenance, une déduction logique voulait que ce soit un allié ayant été fait prisonnier. Aussi, il allait de ce pas le délivrer en se débarrassant de celui qui l'avait mis à mal de la sorte. Ce serait faire d'une pierre trois coups. Non seulement il ferait taire à jamais l'un des plus farouches opposants dans cette bataille, mais en plus de cela, il délivrerait un camarade et se ferait les griffes afin de n'être que plus performant par la suite.

Il avait tout à y gagner, d'autant plus qu'il partait gagnant au vu de leur différence de santé. Si cela réduisait sensiblement la passion qu'il y mettrait, ce n'était pas si grave, car cela lui donnait une meilleure chance d'éveiller son cosmos et d'en prendre la pleine mesure afin de mieux le soumettre à ses désirs par la suite – ce qui n'était pas encore nécessairement à sa portée dans tous les cas. Et puis, obtenir une victoire lors de son premier duel en tant que chevalier ne serait pas un mal, loin de là. De la pointe de sa lame, il désigna le heaume qu'il avait jeté de côté précédemment afin de répondre tant par le geste que par la parole à l'appellation dont la Wyvern l'avait défini.

« Chien ? Pas vraiment, je fais plutôt dans les félins moi comme tu peux le voir. Mais je suppose que tu comprendras mieux quand je t'aurai lacéré de mes griffes. T'inquiète pas, je vais te renvoyer chez toi en t'offrant un billet pour un aller simple en Enfer. Prépare-toi à crever, même si tu dois commencer à avoir l'habitude à force... »

Son expression changea pour laisser place à une hybridation entre le sourire goguenard et le rictus carnassier. La détermination était gravée dans chacun de ses traits, de même que la certitude d'en sortir plus vif que jamais. Tapisser ce sol graveleux d'éclats vermillons à en repeindre les cailloux ne ferait que raviver sa foi et, par le fait même, la violence dont il pouvait faire montre. Dès lors, cette armure d'obsidienne n'était plus le foyer d'un homme mais celui d'une bête. Il communiait avec son étoile gardienne et ne faisait plus qu'un avec le fauve qui y était associé. De même que lui des millénaires auparavant, il allait planter ses crocs au plus profond de la chair de son gibier pour y laisser sa marque à tout jamais afin que ce cadavre en sursis garde un souvenir de leur rencontre. Et à n'en pas douter, ce serait le cas tant sa défaite serait offensante.

La logique aurait voulu qu'il garde son calme aussi longtemps qu'il n'aurait pas anticipé les mouvements de l'émissaire infernal. Mais ce serait mettre sa patience à rude épreuve et il n'avait pas que cela à faire. Aussi fonça-t-il au-devant du danger, certain de s'en sortir sans le moindre mal. Son instrument de boucher, jusque là fièrement brandi, fut lancé dans les airs à mi-chemin pour y tourbillonner. Quel que soit l'endroit où il s'abattrait, une faille béante apparaîtrait dans le sol pour y rester gravée en profondeur, très probablement impossible à reboucher. Ce ne serait qu'un vestige de cette guerre, qui n'avait déjà que trop duré. Aussitôt, toute l'aura qui nimbait son être convergea vers sa paume après avoir traversé son bras, le surprenant par la vibration de puissance si violente qu'elle en serait presque indécente. Mais cela n'arrêta pas son geste, et sa poigne emplie d'énergie vit apparaître une orbe céruléenne qui gagna en brillance et se mit à dégager une force de plus en plus imposante au fil des secondes. Aussi sûrement que serait décochée la flèche d'un archer, son bras partit avec l'intention évidente de s'écraser dans l'abdomen du spectre pour y laisser son empreinte, un grondement de tonnerre semblant se faire entendre alors que le rayonnement de cette déferlante atteignait son paroxysme.

« Blue Impulse », commenta-t-il d'un souffle.

Sans vérifier s'il avait touché tant il était ivre de brutalité, Sköll rattrapa Fenrir au vol, prêt à user de son tranchant – son poids monumental n'avait à aucun moment rompu son équilibre, ce qui ne rendait sa prestation que plus incroyable. Comme tout membre de la Chevalerie, c'était un surhomme, mais les spécimens tels que lui étaient la meilleure preuve que tous ne l'étaient pas à la même échelle. Il ne fallait pas laisser d'ouverture ni de répit, sans quoi il s'exposerait à une contre-attaque aussi sauvage que l'était sa frappe préventive. Il avait pris l'initiative, fort de sa vitalité intacte alors que celle de son vis-à-vis était déjà profondément impactée. Quels que soient les combats qu'il ait pu mener avant de lui tomber dessus, celui-ci serait de trop et signerait son départ de ce champ de bataille. Les pieds devant, cela va de soi. Usant de son peu de connaissances en tant que bretteur, avide de technicité pour s'imposer en maître parmi les siens et prouver sa valeur, il porta de multiples coups de taille à hauteur du tronc de sa cible pour mettre en pièces cette partie de son armure. Il n'en serait que plus fragile et cela optimiserait les dégâts causés. Quatre frappes partirent ainsi, alors que la dernière lui demanda de porter les deux mains aux manches de son arme pour s'aider de toute sa force herculéenne. Aidé par cette dernière, il abattit non pas le tranchant mais le revers de son tranchoir sur le casque de la Wyvern, profitant pleinement de son lest hors-normes.