Comme elle est épaisse, cette forêt. Plus d'un s'y est perdu, entre ces arbres et ces plantes, avec toute cette faune à l’affût. Belle et dangereuse, sauvage, inviolée par le passage de l'homme et ses machines qui déforment la terre pour la laisser pleine de cicatrices. Rien, rien si ce n'est Mère Nature dans ce qu'elle a de plus brute. Pour le meilleur comme pour le pire, la végétation règne en maître, bien peu miséricordieuse avec les incursions de celui qui se dresse sur ses deux pattes, celui qui construit ces grandes tours qui déchirent le ciel. Parfois, ils sont venus ici, ces intelligents bipèdes. Souvent, ils n'en sont pas ressortis.

Ne restent que ces quelques rares hommes aptes à survivre dans le sauvage. Belle et dangereuse, oui, alors la forêt saura appâter l'innocent de ses merveilles pour refermer une paire de mains griffues sur sa gorge nue, exposée. Ainsi, tous ne sont pas innocents, tous ne lèvent pas leur tête pour admirer le ciel et exposer ce cou sensible. Eux qui survivent, eux qui marchent le vert de cette étendue, domptent les sifflements d'une forêt bruyante. Car le silence n'est pas un luxe : ils filtrent par centaines, ces hululements et bruits de feuillage dérangé, traversé. Silhouettes et ombres indistinctes, occupées à habiter leur lieu. Chasser sur leur territoire. Protéger leur foyer.

Et, au milieu de tout cela, il y a cette femme, souriant à cet animal nocturne. Une âme perdue se cherchant peut-être, elle aussi. Elle ne serait point la première. Mais, jusqu’à présent, nul n’y était encore parvenu. Présence sans incidence, aux premiers abords. Tout du moins, jusqu’à ce que ce craquement d’une branche ne retentisse, faisant virevolter les quelques volatiles occupant les lieux. Des pas s’approchant alors, dévoilant à l’intruse une silhouette au teint hâlé. Approche franche, parce qu’elle n’a pas à avoir peur, cette jeune femme. Parce qu’elle connait les lieux. Oui, elle connait.

Des mains placées en l’air rapidement, à hauteur de sa tête, sans pour autant cesser d’avancer. Un sourire franc sur le visage, et cet air malicieux indétrônable. Curieuse femme, enfant.

« J’savais bien que quelqu’un viendrait dans l’coin tôt ou tard. Tiens, elle est marrante ta bestiole ! » Rire retentissant alors, tandis qu’une main tente vaguement de s’en approcher. « T’sais, c’est pas vraiment un coin pour les minettes comme toi ici. Les gens du coin aiment pas trop les étrangers… Mais si tu viens pour voir du paysage, et que t’aimes les endroits verts, vas donc dans l’Nord du Pays. Là-bas, y’a un endroit qui s’appelle : tarāī. Note bien l’information, parce qu’on m’a dit que les plaines marécageuses qu’on trouvait là-bas étaient superbes ! Parait que ça vaut le détour ! »

Un son inconnu, résonnant entres les branches. Et, avec cela, cette tête aux courts fils bruns qui se retourne.

« Ah, faut qu’j’y aille. Oublie pas… L’ tarāī hein !! Tu m’diras ce que t’en a pensé !! »

Et déjà, elle court cette jeune femme, gambadant tel un lièvre, ne devenant plus qu’une silhouette à nouveau. Une ombre, avant de disparaître. Ne demeurait que cette magie sur son passage… Les restes de cette voix enfantine au creux de cette oreille, enjouée.