Un nouveau jour s'achevait dans une débauche de couleurs chatoyantes qui s'étiolaient dans le ciel. Je me tenais debout et immobile devant l'immensité de la mer, à respirer son parfum, à me perdre dans mes pensées. J'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne parvenais à rien, aucun résultat. Ma vie prenait un cours tout à fait inattendu où se profilait une nouvelle guerre. Je n'en voulais pas, mais je n'aurais pas d'autre choix que de m'y résoudre. À me plier à la volonté des Dieux. Mais et ma volonté à moi ? Un jour, elle supplanterait tout le reste. Oui un jour j'ouvrirais mes ailes pour m'envoler et emprunter un chemin qui ne plaisait qu'à moi. Un coup de vent me fit revenir brutalement à moi. Il faisait déjà noir et je n'étais plus qu'une pâle silhouette tranchant dans l'obscurité qui s'installait. Seule ma chevelure rouge dansait dans ce tumulte.

Je me retournais, convaincue qu'il me fallait prendre un peu de bon temps. Le Cap Sounion devait bien compter une auberge ou un buis-buis où je pourrais me saouler et casser quelques gueules. À moins que ce soit l'inverse ?

Je poussais les portes de la première taverne venue, sans douceur aucune, fracassant ces dernières sans me soucier des regards noirs que je récoltais pour ça.

- Debout là dedans ! J'ai la dalle et j'ai soif. J'espère que vous avez autre chose que vos couilles d'oursins et votre jus de pisse habituels !

Je m'emparais de la première pinte à portée pour en renifler le contenu. Mauvaise pioche. Bah, ça ferait quand même l'affaire. Cette aile de poulet aussi, d'ailleurs. Des grognements se firent entendre quand, sous les yeux de quelques malandrins, je me pris à piocher ci et là ce qui me tombait sous la main. Il y'en aurait au moins un qui allait ouvrir sa putain de gueule, non ?

- Oh t'es qui princesse ? Je me retournais dans sa direction, un sourire aux lèvres. - J'suis Mary Red, mon chou et Dieu ce que tu peux avoir une sale gueule.

- C'est que la princesse à l’œil ! Je suis certes pas très beau, ma mignonne, mais j'te baiserais comme un prince !

Il avait de la répartie, ce connard ! Je renversais la tête en arrière, hilare. Il avait au moins le mérite de m'amuser, à défaut d'autre chose.

- J'suis pas intéressée, je suis venue ici pour emmerder le monde, boire et bouffer, c'est tout. Et si je devais mettre quelqu'un dans mon lit, ce serait surtout pas toi !

Mon œil glissa tout à coup vers le fond de la pièce. Je m'approchais de la personne, mon sourire ne faisant que s'élargir au fur et à mesure. Je posais ma main avec sensualité sur l'épaule d'une figure connue, une belle jeune fille brune que j'avais croisé … oh, ça remontait déjà y a un moment !

- Par contre, elle, je dirais pas non. Je lui fis un petit clin d’œil. Salut … Ahina, c'est ça ? Bordel, je pensais pas te retrouver ici. Ni même jamais en fait. On va finalement se l'enfiler, ce verre. Ouais, j'ai pas oublié. Tu … tu te souviens pas de moi ?

Je fronçais des sourcils, prit place en face d'elle sans autre forme de procès. Ignorant superbement ces messieurs qui me hélaient.

- Je suis pourtant sûre que c'est toi, j'oublie jamais un visage. J'suis Mary Red de la Sirène Maléfique. Mais si, on s'est croisé une fois au Sanctuaire. J'étais dans la merde, comme d'habitude. Non, toujours pas ? Baaaaah c'est pas grave, j'suis contente de te revoir quand même.

- Joli ! Bien visé, je n'aurais pas mieux fait ! Et tu as été plus rapide que moi.

Je reposais ma propre carafe sur la table, dans un petit bruit de terre cuite. J'étais heureuse de la rencontrer de nouveau, vraiment. Moi qui désirais me changer les idées, quoi de mieux que de tomber, par le plus heureux des hasards, sur une ancienne connaissance ? Elles et moi nous nous étions promis de boire un verre. Tant mieux si l'occasion se présentait, j'étais d'humeur à lever le coude, plus d'une fois. Tant pis pour ma bourse qui allait, j'en suis sûre, se vider à vitesse grand V. Bah, du pognon j'en avais tout le tour du ventre, trop pour être dépensé en une seule vie. J'allais faire signe à l'aubergiste pour lui commander cochonnailles et pourquoi pas un peu de ce vin grec légèrement épicé mais la belle brune me devança encore. Je riais de bon cœur, l'humeur adoucie.

- Décidément, nos deux cerveaux doivent être connectés ! Je te remercie, je ne vais pas me faire prier.

Avisant d'une belle tranche de porc, mon choix se porta d'abord sur la coupe qu'Ahina me servit et que je portais à hauteur de mes yeux. Je trinquais avec elle pour ensuite lui répondre d'un ton enjoué.

- Eh bien figures-toi que je passais par ici tout à fait par hasard alors que je devais reprendre mon navire qui est amarré pas loin. J'étais en mission par ici, j'étais allée faire un petit coucou aux Spectres. Sérieusement, ils se font pas chier.

Je descendis d'un trait le contenu de mon gobelet en étain. Puis, prestement j'attrapais la carafe pour nous resservir toutes les deux.

- Mais et toi ? Tu es en mission aussi ?

Mes yeux se prirent à l'observer plus sérieusement. Elle aussi avait-elle quelques problèmes à régler ?

- Quand on en aura terminé ici et si ça t'arrange, je pourrais te déposer quelque part ? Le Black Pearl t'emmènera où tu veux, t'es la bienvenue.

Une chose était sûre, si ma proposition n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd – d'une sourde en l'occurrence – il était fort à parier que mes hommes seraient enchantés de voir une autre dame à bord. Ils déchanteraient bien vite en comprenant à qui ils avaient à faire. Elle pourrait très bien prendre le rôle de mon Second. L'espace d'un instant j'imaginais la gueule de Barbossa si je lui annonçais qu'il était relégué à l'épluchage de patates … Je ne pus m'empêcher d'en rire.

- Ces messieurs n'auraient plus qu'à bien se tenir !

Elle et moi pourrions très bien faire trembler le monde si l'envie nous en prenait.