[Fin Septembre 1755, PV Shion & Kappa] Le Grand Pope Veut des Réponses

Entrée du Sanctuaire (Geôles)

Sous le coup de l’épuisement, de ses blessures, et des nombreuses émotions qui grouillaient en lui, le Mage des Glaces ne s’était même pas rendu compte à quel point il avait été tranchant avec les gardes surveillant la salle d’interrogatoire. Il se sentait de toute façon plus mécompris et isolé que jamais, et n’éprouvait malheureusement aucune envie de faire des efforts pour l’être. Paradoxalement, l’écho qu’il avait trouvé en Jara l’avait soulagé. Il avait lu dans ses yeux ambrés la même chose que dans son propre regard. D’une certaine façon, cela légitimait ses méthodes, si discutables soient elles. Il n’avait jamais vu quelqu’un lui faire confiance comme le Capricorne, si ce n’est peut être Marcus. Son caractère n’avait jamais été des plus dociles, et la disparition de Mashia, d’Hector, de Lya et d’Ahina, avait fait son oeuvre sur le onzième gardien. Kappa qui était déjà un chevalier fragilisé par tant d’années à servir Athéna et de combats menés en son nom, était à présent érodé par toutes ces pertes survenues en l’espace de quelques mois. Son propre disciple avait flanché au moment critique où il avait eu le plus besoin de sa confiance. Quelque chose, profondément ancré en lui, s’était brisé quand il avait senti l’aura du Cygne s’éloigner. C’est dans les moments clés que l’on reconnaît ses vrais amis. Il avait veillé sur Kyros, lui avait appris l’ultime technique du Verseau et l’avait fait entrer dans son cercle privé. Mais à sa décharge, il l’avait écarté quand Ahina avait été ciblée, dans le but d’atteindre le Général des Saints lui même.

Désormais, il se voyait comme un homme protégeant ses pairs de la cruelle réalité, accomplissant ce qui doit être fait, mais qui ne peut être approuvé d’un point de vue éthique par le porte parole d’Athéna. L’ombre n’existe pas sans lumière. Quand il était jeune, et idéaliste, Kappa rêvait de devenir un porteur de lumière, un protecteur du peuple, vivant pour servir et protéger les populations, afin que personne n’ait à vivre ce que lui même avait connu étant enfant. Aujourd’hui, il n’était plus que l’ombre née de la lumière projetée par le Grand Pope. Depuis les ombres, il tentait au mieux d’agir pour tous, peu importe le coût ou les méthodes employées. Et peu importe que l’on comprenne ses actes ou non. Il savait à présent qu’au moins une personne comprenait. Et que s’il venait à disparaître, cet homme se souviendrait de lui tel qu’il le souhaiterait. Cet homme s’appelait Jara.

Le Verseau grimpa les marches menant au temple du Bélier en compagnie de plusieurs gardes en les brieffant sur les potentiels risques présents dans les temples du zodiaque. Autour d’eux, des servants, et d’autres gardes montaient aussi. Il ne le remarqua pas immédiatement, mais à quelques marches derrière lui se trouvaient plusieurs des servantes qui étaient affectées au temple du Verseau, et à son Gardien. Depuis quelques mois, Kappa n’aimait pas les savoir proches. Il ne pouvait supporter la lueur inquiète qui flottait dans leurs regards quand elles le fixaient. Le même regard que Kyros, entre autres...

Le groupe de soldats franchit le seuil du premier temple et poursuivirent leur chemin, laissant le Verseau pensif, observant la demeure du Bélier qui avait encore une fois été l’une des plus durement touchées par le conflit. Il balaya les gravats du regard, et soupira lassement, avant de se diriger vers une colonne tombée sur le sol. Tranquillement, il s’assit sur ce siège improvisé, décidant que l’ancien temple de Shion était aussi bien qu’un autre endroit pour un débrieffing. Une de ses jeunes servantes tenta alors une approche avec une mine contrite, mais Kappa tua le geste dans l’oeuf :
- Préparez mes appartements, s’il vous plaît. Dès que j’aurai fini ici, j’aimerais prendre un bain, panser mes blessures, et dormir.
Son ton était parfaitement neutre, mais la jeune servante comprit aussitôt qu’il n’y avait rien à tenter : peu importe ce qu’elle dirait, il y resterait sourd. Elle acquiesça en silence et retourna auprès des autres servantes avant de leur rapporter la requête du Verseau. Elles le saluèrent d’un bref signe de tête auquel il répondit de la même façon, et elles disparurent. Demeuré seul, Kappa posa ses coudes sur ses genoux et joignit ses mains avant de poser sa tête contre celles ci. Il commençait déjà à rassembler ses idées pour son entrevue avec le Grand Pope...

Entrée du Sanctuaire

Ses discussions terminées et ses ordres donnés aux différents Chevaliers présents à ses côtés, le Grand Pope avait ordonné à plusieurs gardes de le suivre alors qu'il entamait lentement la montée du Sanctuaire, l'hôte d'Athéna emmitouflée dans ses bras. Son objectif ultime était bel et bien de déposer l'enfant au sommet du Sanctuaire, là où elle avait le devoir de siéger. Enfin plutôt d'être élevée et protégée le temps qu'elle soit en âge de diriger le Sanctuaire et veiller sur le Monde. Mais pour le moment, cette enfant si fragile ne demandait qu'à pouvoir se reposer dans des literies chaudes, tandis qu'une dizaine de Prêtresses s'affaireraient autour d'elle pour s'assurer qu'elle ne manque de rien, qu'il s'agisse de confort ou de nourriture.

Un sourire sur le visage après avoir observé quelques instants le visage de l'enfant, Shion avait repris sa progression observant les ravages qu'avait subi le Sanctuaire depuis un moment. Nul ne pouvait savoir s'ils remontaient encore à quelques mois, lors de l'invasion des Spectres d'Hadès. Ou si ces derniers avaient pris un malin plaisir à saccager les lieux pendant leur occupation. Ou encore si sa reprise récente, par Marinas, Saints et Ases avait contribué à le détruire un peu plus encore. Mais force était de constater que le refuge des Défenseurs de l'Humanité avait pris une sacré claque et perdu la majeure partie de sa majesté.

Par moments, le Grand Pope pouvait entendre les gardes qui l'accompagnaient se chuchoter quelques commentaires au sujet de l'état désastreux du Sanctuaire. Certains se demandaient même si les lieux ressembleraient un jour à ce qu'ils avaient été par le passé. Après les avoir laissé débattre pendant quelques instants de ce sujet, Shion avait finalement pris la parole pour leur expliquer que l'état actuel du Sanctuaire avait bien peu d'importance et qu'il avait connu de multiples conflits par le passé. Tôt ou tard, il serait remis en état. Et les pierres pouvaient bien tomber encore et encore, l'Espoir qu'ils représentaient tous demeurerait inlassablement debout.

Finalement, les dalles du Premier Temple se décidèrent à pointer le bout de leur nez. Un Temple particulièrement important pour le Grand Pope qui avait porté pendant de nombreuses années l'Armure du Bélier, et accueilli sans cesse les combattants et diplomates de passage au Sanctuaire d'Athéna. Pourtant, l'heure n'était pas à la nostalgie car une aura bien familière venait de se faire ressentir au sein de ce Temple. Une présence qui allait lui faciliter grandement l'objectif qu'il s'était fixé. Se tournant en direction du Cosmos qu'il avait ressenti, il put apercevoir Kappa, le Général du Sanctuaire, assis sur une colonne effondrée. Ordonnant aux gardes de se tenir à distance pour surveiller toute approche, Shion s'avança en direction du Chevalier d'Or du Verseau, un sourire franc sur le visage.

Je suis content de te revoir sain et sauf mon ami. Et je te remercie et te félicite pour ce que tu as accompli. Sans toi, nous ne serions pas ici en ce moment. Sans toi, l'Espoir n'aurait pu renaître comme il l'a fait dans tellement de coeurs. Si Athéna pouvait parler, je suis sûr qu'elle prononcerait elle-aussi ces mots à ton intention, Kappa.

Poussant légèrement le linge pour que Kappa puisse apercevoir le visage paisible de l'enfant endormi, Shion reprit la parole.

Nous avons tellement de points à discuter. Il s'est passé aussi des choses à Jamir pendant votre reprise du Sanctuaire. Des évènements difficiles que nous sommes parvenus à surmonter. Et Athéna peut enfin retrouver sa place et sa protection au sein du Sanctuaire. Je pourrai tout te raconter tout à l'heure. Mais pour le moment, j'aimerais que nous discutions de deux points plus importants. Raconte moi ce qu'il s'est passé en ces lieux, j'aimerais savoir comment vous êtes parvenus à vaincre les sbires du Sombre Monarque et qui étaient nos alliés. Ceux qui nous ont aidé méritent d'être remerciés comme il se doit. Ensuite...

Marquant une courte pause, le Grand Pope plongea son regard dans celui du Verseau

Ensuite, je souhaiterais que tu me parles de ce qui te tracasse mon ami. J'ai besoin de savoir ce qui te trouble depuis quelques temps Kappa.

Perdu dans ses pensées, le onzième gardien perdit rapidement toute notion de temps. Ce ne fut que lorsqu’il entendit des pas se diriger vers lui qu’il en fut arraché, et releva la tête pour afficher un faible sourire en réponse à celui du Grand Pope, qui marchait vers lui, Athéna entre les bras. Il n’était pas très fanatique, mais poser son regard sur elle parvint tout de même à le dérider, et à élargir sensiblement son sourire. Il approcha doucement son index du bébé, qui l’attrapa et joua avec un instant. Durant un court moment, un tout petit moment, Shion put distinguer le Kappa qu’il avait connu plus jeune : ses traits se détendirent et dans son regard flottait une lueur de tendresse qui était réservée à peu de personnes. Toutefois, les propos du Grand Pope provoquèrent une réaction de Kappa : légère, mais toutefois présente : il se recula d’un pas en remarquant qu’il s’était laissé happer par ses émotions pendant quelques secondes. Ce n’était pas dramatique, seul Shion l’avait vu. Le Mage des Glaces aurait été plus gêné s’il s’était agi de quelqu’un d’autre.
- Je te remercie, mon ami. Nous revenons de loin, la situation n’a pas été facile ici...

L’ancien Bélier lui parla alors de l’incident de Jamir, et Kappa acquiesça d’un air redevenu sérieux. Toutefois, le Grand Pope s’engagea soudain sur un terrain dangereusement miné, et Kappa se braqua. Son visage se referma presque aussitôt, et une lueur méfiante envahit ses yeux azurés.
- Je vais te faire mon rapport, bien sûr. Mais pour ce qui concerne l’autre sujet, je crains qu’il ne concerne que moi... Asseyons nous, tu veux ? Je suis épuisé...
Joignant le geste à la parole, Kappa se dirigea vers la colonne couchée sur le sol en boîtant nettement de la jambe droite. Il avait été durement touché, et ses anciennes blessures s’étaient réveillées. Il réfléchit une seconde et rassembla ses idées, puis entama son récit : leur arrivée au Sanctuaire, sa conversation avec Jack, la décision des marinas de se joindre au conflit, le brusque changement de comportement des spectres à ce moment précis et leur soudaine volonté de négocier, le refus de Kappa, ainsi que ses raisons, l’arrivée surprise des Ases qui n’étaient là que pour une chasse à l’homme, et non pour les aider.

Il rapporta tous ces évènements tels qu’il les avait vécus, et s’attaqua ensuite à la partie difficile du récit :
- Malheureusement, je n’ai pas été très épaulé par les chevaliers qui sont venus avec moi. Et avant toute chose, si tu n’es pas encore au courant, saches que j’ai mis Mattheus aux arrêts, et que je compte le faire passer devant une cour martiale. Cour que je souhaiterais que tu diriges.
Il fit une pause, s’attendant à une réaction de vive surprise de la part du Grand Pope, et se justifia :
- Shion, tu sais comme moi que certaines choses ne peuvent êtres tolérées sur un champ de bataille en tant que commandant. Mattheus n’a pas seulement désobéi et discuté mes ordres, il l’a fait devant l’ennemi, et est même allé jusqu’à négocier avec les spectres sans aucune autorité pendant que j’affrontais Minos pour reprendre le Sanctuaire. Je pense que tu voudras lui rendre visite toi même. Il est consigné dans ses quartiers, je ne l’ai pas fait mettre en prison par respect pour lui. Mais tu constateras par toi même qu’il a compris qu’il est allé trop loin. Il l’a lui même admis quand nous en avons parlé, et a laissé son arme et son armure dans le temple du Cancer, là ou nous avons discuté. Je veux juste m’assurer qu’il retienne la leçon à l’avenir...

Kappa fit une nouvelle pause, et poursuivit :
- Kyro du Requin et Inferno ont encore fait une apparition. Je ne sais pas grand chose, mais d’après ce que j’en ai vu, ils forment à présent un duo de mercenaires renégats vendant leurs services au plus offrant. Les spectres, dans ce cas précis. Ishiro a affronté Kyro. Il s’est bien battu. Mais, ensuite...
Il s’interrompit un instant, puis :
- ... Quand j’ai décidé de refuser de négocier avec Minos, Ishiro m’a fait comprendre qu’il n’était pas d’accord. Je ne lui en veux pas pour ça, il a au moins eu le bon sens d’être discret. Toutefois, il m’a été rapporté qu’il s’est comporté irrationnellement auprès de Jack. Une histoire avec sa fille, je n’en sais pas beaucoup plus. Le Phénix a toujours été impétueux. Je gage qu’elle signifie beaucoup pour lui et qu’il a perdu sa lucidité quand elle a été concernée par tout ça. Je ne prévois aucune sanction contre lui. Toutefois... je tenais à ce que tu saches que je n’ai plus confiance en lui comme c’était le cas avant. La vérité, c’est que si le leader des Ases n’était pas accouru aveuglé par sa soif de vengeance, et n’avait pas combattu Arbhaal et Minos à mes côtés, je ne serais pas là pour te raconter tout ça... Quand Minos a compris sa défaite, il a précipitamment usé du pouvoir d’Hadès pour téléporter tous les spectres, certainement aux Enfers, mais ça reste une supposition de ma part. C’est ainsi que nous avons récupéré les lieux. Quant à Kyro et Inferno, ils se sont volatilisés.

Son regard fixait intensément Shion sans ciller. Il ajouta alors :
- Et je n’ai pas l’intention de m’entourer dans mes futures missions de chevaliers en qui je ne peux pas avoir confiance. Mattheus servira d’exemple, et rappellera à tout le monde la réalité des faits. Certains en sont déconnectés, je crois... Voilà ce qui s’est passé, ici.
Kappa se tut une nouvelle fois, puis reprit avec une pointe de lassitude dans la voix :
- Ce qui nous amène au sujet qui fâche, je suppose...
Il se releva, montra soudainement des signes d’anxiété, et se tourna vers Shion qu’il toisa de toute sa hauteur :
- Je suis désolé, mon ami. Mais s’il est vrai qu’une chose me tracasse depuis un moment, il est un fait que c’est un problème qui ne regarde que moi, et que j’ai l’intention de régler seul. Il s’agit de ma vie privée, et comme tu le sais, je n’aime pas qu’on envahisse cette partie de ma vie...
Dans ses yeux flottait une lueur vivace, et plutôt hostile. Kappa défiait presque du regard le Grand Pope de le forcer à parler. Clairement, il campait sur ses défenses en arrivant à ce sujet...

Lorsque Kappa tourna son regard dans sa direction, Shion nota avec satisfaction le sourire qui ornait son visage. Certes, ce dernier demeurait léger et peut-être une simple politesse devant son arrivée et celle de sa Déesse, mais cette simple réaction suffisait à lui conserver l'Espoir que tout n'était pas aussi avancé que prévu dans l'esprit du Verseau. Comme il l'avait secrètement espéré, la présence de l'hôte d'Athéna, si petite, si fragile, si paisible, avait le pouvoir d'attendrir de nombreux coeurs, même celui du Chevalier des glaces. Et pendant quelques instants, le Grand Pope eut l'immense plaisir d'apercevoir le Kappa que le Sanctuaire semblait tellement regretter depuis quelques temps. Si seulement cet instant avait pu se poursuivre...

Lorsque le Grand Pope prit finalement la parole pour aborder les sujets dont ils devaient discuter, le comportement de Kappa se modifia rapidement pour retrouver cette distance qui le caractérisait si bien. Pas de réelle surprise de la part de Shion qui ne s'attendait pas à une discussion facile et dont le sourire n'avait pas disparu pour autant. Il n'était pas dans son habitude de se braquer aussi facilement, ni d'abandonner. Au contraire, il se contenta d'acquiescer aux paroles de Kappa, le suivant pour s'asseoir sur une pierre, non loin de l'endroit que le Verseau lui avait indiqué. Il laissa alors quelques instants au Chevalier d'Or pour rassembler ses esprits et écouta avec attention l'ensemble des éléments qui lui parvenaient, affichant un visage concentré comme s'il tentait de peser les raisons et conséquences de chaque évènement.

Hé bien, moi qui pensais que Jamir avait été agitée pendant ces derniers jours. Je vois que tu as du toi-même affronter de nombreuses embûches et des circonstances assez difficiles. Je suis content que tu sois parvenu à les gérer avec autant de succès. Je suis néanmoins surpris par tout ce que tu m'apprends. Je ne m'attendais pas à ce que les Spectres cherchent à négocier, ni à la présence des Ases. Bien qu'ils nous aient déjà fait le coup lors de la dernière Guerre. Je ne sais trop quoi en penser pour le moment, mais il va falloir tirer cela au clair.

La nouvelle suivante déclencha un étonnement évident sur le visage de Shion. Mattheus? Mis aux arrêts? Comme cela avait-il pu arriver? Il n'avait aucun souvenir sur des débordements passés liés à ce Chevalier. Sa surprise dut se lire sur son visage car Kappa reprit rapidement la parole pour justifier et expliquer les décisions qu'il avait prises. Son regard se fit plus grave alors qu'il écoutait les évènements qui avaient conduit à cette situation inattendue. Bien que l'explication concernant le Phoenix le fasse sourire intérieurement - l'impétuosité d'Ishiro ne changerait jamais - le Grand Pope ne montra à aucun moment trace d'amusement. Ni autre trace d'ailleurs que celle de l'approbation des décisions prises par Kappa. Et lorsque le Verseau termina son explication au sujet de sa volonté de ne plus être accompagné de Chevaliers en qui il ne pouvait avoir confiance, le Grand Pope se décida à reprendre la parole.

Je comprends ce que tu ressens et j'approuve ta décision. Je n'ai moi non plus jamais caché que j'appréciais l'impétuosité de certains des Défenseurs de ce Sanctuaire. Il serait bien triste si personne ne prenait jamais d'initiative et se contentait d'acquiescer à tout. Néanmoins, il y a certains moments où le désordre peut avoir sa place et d'autres où l'ordre se doit d'être le maître mot. J'ai pleine confiance en la décision que tu as prise au sujet de Mattheus et j'accepte de diriger cette cour. Les Chevaliers d'Or ont pleine autorité, surtout dans un moment aussi critique. Et un manque de respect se doit d'être puni. Je verrai s'il est nécessaire que j'aille discuter avec lui avant ou si tout aura lieu au moment de la Cour. Selon les priorités. Quant à ces mercenaires, nous allons devoir nous en méfier et voir s'il n'y a qu'eux ou si les Spectres peuvent compter sur d'autres alliés. Ainsi que faire le point définitif sur nos relations avec les Ases...

Le point sur le conflit effectué, Kappa revint sur la seconde demande du Grand Pope, affichant un comportement plus glacial encore que lorsque le sujet avait été abordé lors de son arrivée. La nervosité devenait totalement visible dans le comportement du Verseau qui avait quitté son siège improvisé pour se placer debout face à lui. Une pointe de défiance dans le regard. Shion aurait pu choisir de se relever, comme pour asseoir son autorité et relever le défi qui lui était lancé, mais il préféra demeurer à sa place, témoignant ainsi de l'absence totale d'hostilité ou d'agressivité dans sa demande. Silencieusement, il invita Kappa à sa rasseoir, d'un signe de la main. Non pas un ordre mais simplement une invitation à la discussion calme que le Grand Pope recherchait.

Accepte de m'écouter quelques instants Kappa, s'il te plait. J'entends ta réponse et je la comprends. Et dans d'autres circonstances, je l'aurais trouvée totalement normale et n'aurais pas cherché à pousser ma demande plus en avant. Néanmoins, nous sommes dans des circonstances assez exceptionnelles. Tu ne t'en rends peut-être pas compte Kappa, concentré sur ce sujet personnel, mais les gens commencent à avoir peur. Non pas peur de toi comme tu pourrais le penser mais peur pour toi. Tous savent que tu es un des Chevaliers d'Or les plus importants du Sanctuaire. Et l'un des plus fidèles aussi. Et beaucoup t'apprécient. Moi-même, je sais que je peux t'accorder toute ma confiance comme je l'ai déjà fait. Néanmoins, tous ressentent le malaise qui te hante depuis quelques temps et qui a indubitablement assombri ton coeur Kappa. Et si personne n'éprouve de doute sur ta loyauté, les gens s'inquiètent pour toi et craignent que les Ténèbres ne finissent par t'engloutir, bien malgré toi. Tu penses peut-être que c'est impossible mais d'autres Chevaliers ont déjà succombé par le passé. Alors il est normal que cette angoisse les étreigne. Je sais que ton esprit est concentré sur tes soucis Kappa mais ne me dis pas que tu n'as pas remarqué ces sentiments et ne me dis pas que les inquiétudes des gens à ton égard ne t'importent pas, je ne te croirais pas.

Marquant une courte pause pour laisser le temps à Kappa de digérer toutes ces informations, Shion poursuivit.

Kappa, j'aimerais que tu acceptes de me parler de tes soucis comme tu te confierais à un ami. Mais je crains malheureusement que nous ne soyons pas suffisamment proches pour que tu me considères réellement ainsi. Nous n'avons pas vécu suffisamment d'évènements ensemble, pas suffisamment partagé de choses. Alors si tu ne peux pas me parler en tant qu'ami, je te demande de le faire en tant que Grand Pope. Qui est là pour guider le Sanctuaire et tenter d'aider et de protéger les gens qui en font partie. Y compris pour t'aider et te protéger toi. Mon but n'est pas de te brider ou de t'empêcher de résoudre tes problèmes. Que ce soit en tant qu'ami ou Grand Pope, je ne souhaite que t'aider à régler tes soucis, pour retrouver le Kappa que j'ai pu apercevoir il y a quelques instants. Même si mon aide ne consiste qu'à te donner suffisamment de liberté pour y parvenir. Mais pour cela, j'ai besoin que tu acceptes de parler un peu. Que tu m'accordes un peu de confiance.

Kappa avait toujours été homme à rapporter les faits fidèlement. Il n’avait pas essayé de tourner les choses à son avantage, ni à les transformer. Il avait tout raconté comme ça s’était passé, et ne regrettait pas les décisions qu’il avait prises. Toutefois, le soutien incertain de Shion signifia beaucoup pour lui, même s’il n’en dévoila rien. De toute évidence, sur de nombreux points, et bien qu’étant très différents, les deux hommes partageaint le même avis. Le débrieffing s’acheva, mais la discussion, elle, ne faisait que commencer. Kappa s’était relevé, et faisait désormais face au Grand Pope de toute sa hauteur pour lui signifier qu’il ne souhaitait pas aborder ce fameux secret qui le dévorait tant.

Durant quelques instants, Shion sembla jauger le Verseau et son état d’esprit. Puis, il reprit la parole avec calme et sérénité, si bien que son ami ne se braqua pas définitivement, et l’écouta. Il suivit son geste l'invitant à s’assoir des yeux, mais n’y répondit pas immédiatement. Toutefois, par respect pour Shion qu’il appréciait, il acquiesça silencieusement et se rassit.
- Très bien, je t’écoute...
Shion lui expliqua alors pourquoi il insistait tant : durant ces quatre derniers mois, le Verseau s’était investi à fond dans son travail, dans ses responsabilités de général. En partie pour racheter sa faiblesse ayant conduit à la perte du Sanctuaire et à leur exil vers Jamir, bien sûr. Mais aussi et surtout pour tenter d’oublier qu’Ahina avait disparu, et qu’il n’avait aucune piste pour la sauver de Pséma. Tuer ce dernier demeurait à ce jour la seule possibilité ayant des chances de montrer des résultats.

Mais ses nerfs avaient été mis à rude épreuve, et son sommeil l’avait abandonné. Il ne dormait plus, et avait même recommencé à boire quelques semaines. Heureusement, l’intervention inopinée de Jack l’avait sauvé avant qu’il ne sombre à nouveau. A cause de tout cela, et de toutes ces années de service auprès d’Athéna qui l’avaient érodé peu à peu, tous ces amis perdus à qui il fallait survivre, le jeune Hakéron était devenu agressif, renfermé, et plutôt fataliste. La perte d’Ahina avait causé en lui un traumatisme si important qu’elle avait aussi eu pour effet de lui ouvrir les yeux sur un fait : la réalité est cruelle, et l’idéalisme et l’utopie n’ont pas leur place en cohabitation avec son devoir de général. Kappa avait toujours voulu être un porteur de lumière, mais il n’avait fait que sombrer dans la nuit en comprenant tout ce qu’impliquait son rôle. Il n’avait jamais été un paladin, comme Marcus, et ne le serait jamais. Ce n’était pas son destin.

Désormais, Shion était la lumière du Sanctuaire, et le Verseau représentait l’ombre née de cette lumière. Et en tant que tel, il s’était fixé comme objectif de protéger les chevaliers encore idéalistes comme Corell ou Shion de la cruelle réalité en accomplissant à leur place des actions nécessaires pour le bien commun, mais impossibles à approuver du fait de leurs rôles de porteurs de lumière. Au Sanctuaire comme ailleurs, chacun possède un rôle bien défini. Il avait fallu longtemps à Kappa pour le comprendre. Le sien se trouvait au coeur des ombres, et il l’avait accepté. Au moins, au sein des ténèbres, personne ne pouvait lire sur son visage ou dans ses yeux la douleur qui le rongeait. Durant si longtemps, il avait échappé à la destinée des chevaliers des glaces : distant, froid, sans émotion. Mais la perte de tant d’être aimés avait fini par le confiner dans ce que le Verseau ultime se doit de devenir : le chevalier des glaces, incompris par ses pairs, et parfois mal aimé pour les actes qu’il commet.

Il écoutait Shion avec attention et comprit bien vite que cette fois, il se devait de lui donner des informations. Il comprit à demi mot que le Grand Pope retenait les autres chevaliers de venir l’interroger eux mêmes. Et tous deux savaient que Kappa ne se comporterait pas de la même manière face à d’autres chevaliers trop curieux. Lorsque Shion se tut finalement, Kappa se releva lentement : il semblait réfléchir, peser le pour et le contre. Puis, dos tourné à Shion, il s’adressa à lui :
- Viens, allons sur la terrasse, enfin ce qu’il en reste... J’ai besoin d’air...
Le Mage des glaces se dirigea vers le seul pan de rambarde en pierre qui semblait encore en bon état, et s’accouda à celui ci, en profitant de la vue qui s’étendait sous ses yeux. Elle n’était pas aussi belle que celle de sa demeure, mais elle offrait un point de vue différent appréciable. Le vent caressa son visage et il ferma les yeux durant quelques instants. Puis, il prit enfin la parole :
- Combien de temps as tu été chevalier au service de l’ordre, Shion ? Lui demanda t’il un peu de but en blanc.

Il se tourna vers lui et s’adossa au balcon, avant de poursuivre :
- Ca fait treize ans que je combats pour Athéna. D’abord en tant que porteur de la Couronne Boréale, puis choisi par Fawn pour le remplacer en tant que Verseau. Treize années. Et tu sais ce que j’ai acquis durant tout ce temps ?
Il fit une pause pour donner la possibilité à Shion de répondre, mais il coupa toute chance volontairement :
- Rien du tout ! Je n’ai rien gagné du tout... J’ai rejoint l’ordre parce que je voulais devenir comme toi. Comme Marcus ! Un paladin, protégeant les opprimés, faisant disparaitre les peurs et chassant les ennemis de la paix. Pendant un temps, en faisant équipe avec notre ancien général, j’ai cru que j’avais atteint ce but, que j’étais devenu celui que je voulais être. Et puis, la guerre de 48 a éclaté, avec son lot de disparitions et de morts. J’ai sombré dans la dépression, mais j’ai été sauvé par mon entourage : Mashia, Lya, Hector, Naios et Kyros. Ma famille, mes amis.

Il fit volte face et se tourna à nouveau vers la vallée de Rodorio, puis continua son récit :
- Et où sont ils, à présent ? Mashia et Lya sont en sécurité quelque part dans le monde. C’est un soulagement, mais elles me manquent. Hector est mort sous mes yeux sans que je ne lève le petit doigt pour y changer quoi que ce soit. Les fantômes sont nombreux dans ma vie. Les gens meurent depuis toujours autour de moi, et ma malédiction se poursuit. Survivre n’est pas facile quand personne d’autre autour de toi n’y parvient. On se sent plus seul et isolé que jamais. Sans trop savoir pourquoi, j’ai toujours eu un don pour le combat. J’ai combattu à de nombreuses reprises et m’en suis toujours sorti. Mais pour autant, mon corps et mon âme, eux, n'en sont pas sortis intacts.

Il se tut quelques instants. Lui même ne savait pas trop où il allait en racontant tout ça, mais si Shion voulait qu’il se confie un peu, il était servi.
- Contrairement à ce que les gens croient, je ne suis pas si insensible et intouchable que ça. La plupart ont une vision erronée de moi. Evidemment, tu pourras arguer que je n’ai jamais cherché à corriger cela, et tu auras raison. Je pense que moins mes faiblesses seront connues et mieux ce sera. Une seule personne m'a permis de tenir jusqu'à il y a quelques temps. Et cette personne n'est plus à mes côtés pour m'épauler, mon ami...
Il s’interrompit quelques secondes, puis ajouta :
- Nous avons tous nos blessures secrètes, Shion. Les miennes sont multiples, et l’une d’elle m’impacte particulièrement. Je vais faire mon possible pour régler cela rapidement, mais mes responsabilités et les circonstances actuelles me forcent à ne pas trop m’éloigner des nôtres. Ce qui ne m’aide pas à avancer. J’ai toutefois une piste et je souhaiterais que tu me laisses un ou deux jours pour me rendre au Sanctuaire sous Marin. Je dois rendre visite à quelqu’un là bas, directement en lien avec mon problème.

Nul ne pouvait savoir si ses mots allaient parvenir à dégeler pendant quelques instants celui qui semblait se transformer en glace dès que l'on tentait de s'immiscer un tant soit peu dans sa vie privée. Shion avait parlé avec son coeur et expliqué au Verseau la situation que celui-ci tentait de se voiler. Les avis des autres Chevaliers, les murmures qui se faufilaient dans son dos, les peurs qui grandissaient lentement. Et il espérait ardemment que ses paroles suffiraient à faire entendre raison au Général du Sanctuaire. Car même si le Grand Pope représentait l'autorité du Sanctuaire et pouvait ainsi donner des ordres à ses Chevaliers, il ne pouvait utiliser ce pouvoir pour le forcer à lui dévoiler ses secrets. Ou en tout cas, ne le souhaitait pas.

Au bout de quelques instants, Kappa l'invita à le suivre en direction du balcon du Temple. Une invitation que le Grand Pope ne pouvait que prendre comme un signe de bonne volonté de son compagnon d'armes. Il se releva ainsi lentement, en prenant grand soin de ne pas éveiller l'enfant qui dormait dans ses bras, avant de suivre le Verseau dans l'endroit où peut-être il se confierait. Observant lui-aussi le paysage qui leur tendait les bras, le Grand Pope demeura silencieux, attendant que son ami se décide à prendre la parole. Et finalement, après quelques secondes supplémentaires de silence, le Chevalier d'Or sembla laisser tomber définitivement la défiance qui l'avait saisie au début de leur échange pour prendre la parole et discuter.

A sa première question, Shion demeura silencieux, préférant laisser Kappa l'amener sur le chemin qu'il avait choisi. Un regard presque fraternel posé sur le Verseau, le Grand Pope écouta ses arguments calmement, sans l'interrompre. Se laissant presque gagner par la nostalgie alors qu'il entendait son ami lui présenter le trouble qui l'habitait, et la frustration liée à l'enchainement des drames au fil des années. Etait-ce ainsi alors? Kappa avait-il plongé à ce point dans le désespoir qu'il ne pouvait plus que voir, dans la tâche qui était sienne, qu'une série de malheurs venus ternir sa vie. Ou plutôt celle de ses proches? Lorsque finalement Kappa termina sa phrase en laissant quelques instants de blanc, le Grand Pope soupira avant de prendre la parole.

Ainsi est donc ce que tu gardes de ta vie de Chevalier, mon ami? Une vision bien triste, je le conçois. Tu sais, Kappa, tu n'es pas le seul à avoir traversé des moments difficiles pendant ces dernières années au service de notre Déesse. Te souviens-tu de cette époque où nous nous sommes rendus en Asgard, toi en première ligne et moi en escorte de notre Déesse. Ce jour-là, j'ai croisé un de mes meilleurs amis, Astre, à l'entrée d'Asgard. J'ai accompli ma mission, je suis resté aux côtés d'Athéna. Et je n'étais pas là, quelques heures après, quand il se faisait tuer. La même chose s'est reproduite plus tard, pour Dokho, lorsqu'il a été capturé par Pséma et est revenu totalement changé. Ayant oublié tous les souvenirs que nous avions ensemble. Que de tragédies. Que de tristesse.

Marquant un court instant de pause pour reprendre son souffle, il poursuivit

Mais ma vie, notre vie au service d'Athéna ne peut se limiter à un enchaînement de catastrophes et déceptions. Tu seras, je n'en doute pas, ravi d'entendre que Mashia et Dokho se portent bien et ont décidé d'aller prendre du repos à Rozan. Les évènements récents n'ont pas été tendres avec eux mais ils se portent bien et semblent heureux. Tous les noms que tu as cités Kappa. Tu penses ne leur avoir apporté que des malheurs mais je n'en suis pas convaincu. Penses-tu que Kyros serait celui qu'il est aujourd'hui si tu n'avais été là pour le guider? Penses-tu que tu aurais eu la chance de croiser des gens exceptionnels comme Mashia ou Aldébaran si tu n'avais pas suivi le chemin qui a été le tien. Et penses-tu que eux soient déçus d'avoir croisé le tien, permets moi d'en douter. Prends quelques instants pour aller parler aux habitants de Rodorio et partager leur joie d'être de retour en ces lieux. Grâce à toi. Et ils n'hésiteront pas à te remercier de tout coeur pour ce que tu as accompli. Tu penses n'avoir rien acquis pendant tout ce temps? Alors es-tu sûr de réellement regarder au bon endroit? Et si tu ne veux pas aller si loin, il te suffit de regagner juste devant toi. Ce n'est peut-être pas grand chose mais tu as aussi acquis tout mon respect et mon affection durant ces années, mon ami.

Pourtant, ces difficultés passées ne semblaient pas constituer le seul élément qui troublait l'esprit du Verseau. Un autre problème ne cessait de le hanter mais ce dernier ne parvenait pas à accepter d'en dévoiler la nature exacte. Un problème qu'il souhaitait néanmoins régler rapidement mais que son devoir lui empêchait de placer dans ses priorités. A sa demande, le Grand Pope demeura à son tour silencieux, son regard alternant entre l'horizon et le Chevalier d'Or. Puis finalement, après avoir pesé le pour et le contre de sa décision, il reprit la parole pour répondre aux requêtes de Kappa.

Je comprends le dilemme qui te hante et je vais tâcher de faire de mon mieux pour te permettre de le résoudre et ainsi apaiser tes souffrances. Bien que tu ne souhaites pas t'ouvrir totalement aux autres et que tu sembles oublier que bien des personnes sont là pour t'aider à tenir en cas de problèmes. Pas seulement une personne. Qu'à cela ne tienne, on ne change pas une personne du jour au lendemain! Mais tout le monde évolue!

Reprenant son sourire suite à ces dernières paroles, le Grand Pope poursuivit

Je te propose un marché, un échange de confiance. A toi de voir s'il te convient. Bien que les temps ne soient pas toujours faciles, la reprise du Sanctuaire devrait nous laisser quelques temps de répit. Ainsi, si tu acceptes de me révéler ta blessure, je te laisserai t'absenter le temps nécessaire pour te rendre au Sanctuaire Sous-Marin. Disons qu'officiellement, tu seras en mission diplomatique, afin que personne ne pose de questions. En contrepartie, et pour apaiser nos craintes à tous les deux, la tienne concernant la sécurité du Sanctuaire et la mienne concernant ta sécurité, je ne demanderai que deux choses. La première est que tu transmettes tes directives à Corell car il est le plus à même pour gérer nos armées en ton absence, et j'ai pleine confiance en lui. La seconde est que tu te fasses accompagner d'un Chevalier de Bronze ou d'Argent.

Avant que le Verseau ne puisse se plaindre de cette dernière demande, le Grand Pope leva une main pour qu'il le laisse finir.

Je sais ce que tu vas me répondre, que tes problèmes ne concernent que toi. Et je ne te force pas à révéler ton véritable but à celui qui t'accompagnera. Mais lorsque tu combattais au Sanctuaire, Jamir a été attaquée par des Chevaliers Noirs. J'ai moi-même combattu le Capricorne Noir et celui-ci n'a pas caché son objectif: mettre fin à mes jours. Peut-être pour décapiter et affaiblir le Sanctuaire. Je ne prétends pas être un aussi bon combattant que toi mais je pense pouvoir me défendre contre nombre d'adversaires. Pourtant, je n'aurais eu aucune chance de survie si Garett, un de nos courageux Chevaliers de Bronze, n'était venu se battre à mes côtés. Si tu pars seul, tu feras une cible de choix Kappa. Une cible qui affaiblirait tout autant le Sanctuaire. A deux, je serai sûr de te revoir pour défendre le Sanctuaire, une fois ta mission accomplie. Prends quelques instants pour réfléchir Kappa, je t'en prie.

Le Grand Pope commenta le récit du Verseau d’une manière que ce dernier avait anticipée. Il ne s’attendait pas à être compris. Une façon triste de voir les choses ? Lui ne voyait pas les choses comme ça. C’était un bilan objectif et concis de ce qui lui était arrivé. Il était bien sûr dans l’erreur, mais il n’était tout simplement pas prêt à entendre les arguments de son ami l’ancien Bélier d’Or. Celui-ci contra son bilan en arguant qu’il n’était pas le seul à avoir souffert ou connu des malheurs durant sa vie de chevalier. Mots auxquels Kappa n’eut pas la moindre réaction, ne les trouvant pas pertinents. Il n’avait jamais affirmé être le seul à souffrir de son rôle. Shion avait posé une question, à laquelle il avait répondu, en partie du moins.

Heureusement, et alors que la patience de Kappa s’émoussait dangereusement face au discours du Grand Pope, ce dernier changea d’angle d’attaque pour tenter de lui montrer les bons côtés de leurs rôles. Il était d’accord avec tout ce que Shion lui disait, mais ce n’était pas suffisant. Oui, les Rodoriens avaient retrouvé leur foyer et étaient enfin en sécurité. Non, s’il n’était pas devenu chevalier, il n’aurait jamais connu de personnes aussi exceptionnelles qu’Aldébaran. Mais ce n’était pas suffisant pour justifier qu’on lui ait volé son joyau : Ahina ! Parce qu’il s’agissait bien d’elle, et seulement d’elle ! Son rôle de chevalier l’avait épuisé, et les nombreuses épreuves qu’il avait eu à surmonter l’avaient peu à peu transformé. La seule qui avait jamais été capable de briser cette carapace était la jeune Rodorienne, pour qui il avait éprouvé de l’affection dès le premier regard. Et toutes ses bonnes actions, qu’elles soient passées ou futures, ne racheteraient pas à ses yeux le fait que par sa faute, Ahina était devenue chevalier d’Athéna pour le poursuivre, et l’avait payé au prix fort.

Tandis que Shion poursuivait son discours, Kappa le fixait sans ciller, visiblement hésitant sur la posture à adopter. Finalement, il entendit la proposition de Shion, et après quelques secondes de silence durant lesquelles il réfléchit posément, il brisa le mutisme dans lequel il s’était enfermé :
- Je vais te rencontrer à mi chemin, Shion. J’accepte ton marché, mais à deux conditions, non négociables. D’abord, je veux que cette discussion reste entre nous peu importent les circonstances. Personne ne doit savoir ce que je m’apprête à te dire. Ensuite, je veux me rendre seul au Sanctuaire sous Marin. Je comprends tes inquiétudes, mais je ne pourrai pas agir comme je le souhaite si je suis accompagné.

Kappa inspira alors profondément, et reprit la parole :
- Tu as raison sur plusieurs points. Nous avons tous notre lot de malheurs, et nous avons tous notre lot de pertes. Nos responsabilités impliquent des choix parfois difficiles avec lesquels nous devons apprendre à vivre. Mais tout le monde n’a pas perdu son âme sœur à cause de ce rôle, acheva t’il en plongeant son regard azuré dans celui du Grand Pope. Oui… La femme que j’aime est tombée au cours de la guerre Sainte, et depuis quatre mois, j’essaie de la retrouver. Ahina du Scorpion et moi, nous étions… ensemble… Elle a été gravement blessée par l’ennemi, et enlevée sous mes yeux par Pséma. Je ne sais pas ce qu’il projete de faire et pourquoi elle l’intéresse, mais il l’a emmenée avec lui. Je dois la retrouver, tu comprends ? Rien n’est plus important à mes yeux que la ramener chez elle.

Il se tut et se tourna vers la vue qui s’offrait sur la vallée, avant de continuer :
- Je n’attends pas de toi que tu l’acceptes ou que tu le comprennes. Il s’agit d’une chose qui ne concerne que moi, et moi seul. Mais Ahina est la personne qui est la plus importante au monde pour moi. Sans elle, je ne serais pas ici aujourd’hui, et pour de nombreuses raisons. J’avais promis que rien ne lui arriverait, et j’ai déjà failli à ma tâche. Je ferai tout ce qu’il faudra pour la sauver, peu importe le prix qu’il m’en coûtera. Je suis même prêt à rendre mon armure si c’est nécessaire, mon ami ! Rien ni personne ne pourra m’en empêcher ! Je ne l’abandonnerai pas ! Pas elle ! Pas après tout ce que…
Il se tut soudainement, mais dans le ton de sa voix, on pouvait lire toute la détermination et la volonté du Verseau. Cette fois, sans le moindre doute, Kappa parlait du cœur du problème, de ce qui lui dévorait les entrailles depuis tout ce temps. Il était franc avec Shion, et il voulait faire passer un message très clair : qu’il le comprenne ou pas, Ahina passait avant tout à ses yeux ! C’était un fait. Probablement difficile à encaisser sachant que Kappa était aussi le général des armées du Sanctuaire. Mais puisque son supérieur voulait la vérité, il avait décidé de lui fournir.

Le Mage des Glaces se tourna une nouvelle fois vers Shion :
- Jack m’a dit détenir Ahina en sécurité en Atlantis. C’est pourquoi je souhaite me rendre là bas aussi vite que possible. Son état mental a été alteré quand elle a été blessée, et je ne sais pas à quel point les dégâts sont importants. J’ai besoin de savoir ! Et je ne veux pas que quiconque sache pourquoi je me rends là bas. Me laisseras tu y aller, Shion ?

Enfin. A sa grande surprise, le Chevalier d'Or du Verseau semblait prêt à accepter l'offre que le Grand Pope venait de lui faire. Non sans y ajouter certaines conditions mais peu importait, il devait lui-aussi être prêt à faire certaines concessions s'il souhaitait retrouver pleinement le Général du Sanctuaire. Après tout, il ne devait oublier que ce dernier ne l'avait jamais déçu par le passé et, si Shion ne cessait d'affirmer qu'il fallait avoir confiance en l'avenir et garder espoir, il avait lui-même le devoir de faire confiance aux Chevaliers du Sanctuaire. Ainsi, lorsque Kappa exposa ses deux conditions, lui demandant de ne rien dévoiler de cette discussion et de le laisser partir seul, le Grand Pope se contenta de répondre.

Il est évident pour moi que nos échanges demeureront notre secret. Les autres Chevaliers n'ont pas besoin de les connaitre, du moment que la sécurité du Sanctuaire n'est pas remise en cause.

Shion retourna alors à son silence, laissant Kappa lui donner les détails de ce fameux secret qui ne cessait d'obscurcir son coeur et ses pensées. Plus que la relation qui liait Kappa au Chevalier d'or du Scorpion, c'est la nouvelle de son enlèvement qui fit naître la surprise sur le visage du Grand Pope. Les rapports des gardes lui avaient laissé entendre qu'Ahina avait été tuée lors de la dernière Guerre Sainte, les combats ayant été très difficiles et le corps du Chevalier d'Or se révélant introuvable malgré les multiples recherches. Aucun indice n'avait non plus être découvert en dépit des investigations lancées à sa demande. Décidément, combien de cartes Pséma allait-il abattre avant que quelqu'un ne parvienne à mettre un terme à ses plans. Et quels pouvaient bien être ces plans... Il fallait vraiment que Corell réussisse à obtenir des informations du Capricorne Noir.

J'ignorais totalement qu'Ahina était vivante. Sans quoi, j'aurais dépêché une mission pour tenter de la récupérer. Je commence à me demander si le seul objectif de Pséma est de faire souffrir le Sanctuaire et ses membres ou s'il a réellement un autre plan...

Aux paroles suivantes du Verseau, Shion demeura un instant pensif, ne sachant réellement quoi répondre. Comment réagirait-il s'il était dans la même situation que Kappa. Retournerait-il lui-aussi ciel et terre pour parvenir à retrouver celle qu'il aimait. Des décisions bien difficiles au vu de leur statut et des choix que Shion s'était toujours promis de faire pour le mieux de sa Déesse. Mais tenter de se préparer l'avenir était une chose, se retrouver face à lui en était une autre totalement différente. Posant son regard sur l'enfant dans ses bras, le Grand Pope répondit finalement

Tu sais Kappa, je me suis moi-même toujours dit que rien ne pourrait passer devant les promesses que j'ai faites à la Déesse Athéna. Que quelles que soient les difficultés que je rencontrerais, jamais je ne les placerais devant mon devoir car le choix que j'avais fait en rejoignant le Sanctuaire demandait des sacrifices. De bien belles promesses, tu ne trouves pas? Mais pour être honnête, je ne sais pas comment je réagirais si Ceridwen venait à se retrouver dans la même situation qu'Ahina. Et il est fort probable que je réagirais comme tu le fais, ou peut-être moins bien encore. Alors je doute de pouvoir réellement te jeter la pierre alors que tu essayes de sauver celle que tu aimes.

Puis vinrent les détails plus concrets quant aux prochaines actions que Kappa voulait entreprendre. Jack détenait donc Ahina en sécurité? Décidément, les surprises s'enchainaient en quelques minutes. Le vieux renard était donc bien plus que le simple père des deux jumelles Marinas. Il faudrait qu'il ait une discussion avec lui quand le moment serait opportun. Mais pour le moment, il y avait d'autres affaires plus urgentes.

Bien. J'accepte que tu te rendes au Sanctuaire Sous-Marin. Profites en pour éclaircir les desseins qu'entretiennent les Marinas. J'ai besoin de savoir ce qu'il en est exactement des relations entre nos deux camps car les derniers évènements ont laissé naitre de nombreuses rumeurs. Comme ça, je n'aurai même pas à mentir sur ton absence si on me le demande. Et tu pourras ainsi user de ton statut si cela peut te servir, sans mettre en danger les relations diplomatiques du Sanctuaire bien entendu.

Marquant une courte pause, il plongea son regard dans celui de Kappa avant de poursuivre

Mais n'oublie pas une dernière chose mon ami. Quoi que tu en penses et aussi nobles que soient tes motivations, ta volonté de sauver ton âme soeur sans l'aide de personne ne doit pas devenir un obstacle à ta réussite. Tu ne gagneras rien à la voir mourir ou à mourir toi-même parce que tu auras voulu agir seul. Donc si tu te retrouves confronté à des obstacles trop grands, ou à Pséma lui-même, reviens demander de l'aide et tu en auras. Sans quoi, tu ne te le pardonnerais pas. Et je ne te le pardonnerais pas.

Les révélations de Shion concernant sa relation avec Ceridwen surprirent Kappa, bien qu’il n’en montrât rien. Ainsi, ces deux là étaient très proches, et Shion pouvait certainement comprendre sa situation bien mieux qu’il ne l’avait d’abord pensé. Le chevalier des glaces n’avait pas réagi aux propos de Shion concernant Ahina. Il ne pouvait rien dire, sans risquer de trop en dire. Il était difficile d’expliquer qu’elle avait suivi Pséma “semblait t’il” de son plein gré, et non qu’il l’avait emmenée. Le pouvoir de suggestion du Bélier Noir était incommensurable, Kappa était bien placé pour le savoir. Mais, dans le doute, désirant plus que tout protéger la jeune femme, il préféra s’abstenir d’en dévoiler davantage.

Quelque part, le Verseau aurait dû se sentir plus léger après avoir enfin partagé son lourd secret avec Shion. Il se le demanda aussitôt en silence. Mais il constata très vite que ce n’était pas le cas, bien au contraire : il n’aimait pas avoir été poussé à le faire. Mais il comprenait les raisons de Shion, et aussi vrai qu’il le respectait et le considérait comme un ami, il ne lui en tenait pas rigueur. Un léger sourire vint éclairer son visage l’espace d’un instant quand le Grand Pope accéda à sa requête, et Kappa sentit qu’il était temps d’être un peu plus honnête vis à vis du prisonnier.
- Je suis passé voir le prisonnier avant de venir ici... lâcha t’il subitement d’un ton neutre avant de marquer une légère pause. Tu es bien conscient qu’il ne nous donnera pas d’infos avec les méthodes de Corell, n’est ce pas ?
Seul à seul avec Shion, Kappa fissura son masque impassible durant quelques instants afin d’être franc avec lui :
- Tu n’obtiendras rien du Capricorne Noir par la diplomatie. Il ne te donnera rien du tout... Il n’a rien à y gagner, et nous le savons tous les deux...

Il fit quelques pas jusqu’à Shion et son regard azuré se posa sur l’enfant sacré, qui sembla étrangement attiré par l’intensité des yeux du Mage des Glaces. Elle l’observa à son tour, tandis qu’il poursuivait sur un ton grave :
- Tu as les mains liées par ce que tu représentes, Shion. Tout comme Corell, d’ailleurs. Je pensais Ishiro différent, mais j’ai pu constater qu’il n’était pas prêt à endosser le rôle qui veut se donner depuis toutes ces années.
Peu à peu, Kappa amenait Shion à comprendre la réalité. Il allait lui offrir une porte de sortie lui permettant de sauver son image et celle du Sanctuaire. Pas par égoïsme ou volonté de se décharger, mais parce que c’était nécessaire. Shion incarnait pour l’Ordre des chevaliers d’Athéna ce que Kappa n’incarnerait jamais. Mais c’était aussi une faiblesse, à laquelle ils pouvaient pallier grâce à leur manière de diriger partagée. Il leva la tête et plongea son regard dans celui du Grand Pope :
- Tôt ou tard, Corell devra se rendre à l’évidence et abandonner sans avoir rien pu tirer de notre prisonnier. Je n’ai pas l’intention d’en rester là, ni de restreindre les méthodes... Je ne te demande pas de le valider d’une quelconque façon que ce soit, et encore moins de l’avaliser officiellement. Si tu ne dis rien, je considèrerai que nous avons pris cette décision d’un commun accord, mais cela restera à jamais entre nous...

Il le fixa longuement sans rien dire. Pour Kappa, les choses étaient claires et ainsi depuis quatre mois maintenant, mais il n’avait jamais abordé le sujet avec Shion. Pourtant, il voulait désormais l’en informer, ne serait ce que par respect pour lui. Le Grand Pope semblait comprendre que les décisions n’étaient pas toujours simple, tout comme le monde dans lequel ils évoluaient.
- Nos responsabilités impliquent de faire des choses avec lesquelles tout le monde ne pourrait pas vivre au quotidien. Pour sauvegarder le bonheur du plus grand nombre, des sacrifices doivent être faits. Agissant depuis les ombres, je ferai ce que tu ne peux pas faire depuis la lumière, Shion.
Il fit une dernière pause avant de reculer de quelques pas. Un sourire bienveillant apparut sur son visage, si rarement illuminé ainsi depuis la disparition d’Ahina. Et il ajouta d’une voix amicale :
- Je sais que mes propos peuvent te paraître effrayants... Mais réfléchis... Nous avons besoin de savoir où est Pséma. Ton sens de l’éthique ne t’aidera pas à sauver Athéna ni même nos familles et nos amis. Notre seul atout se trouve dans les cachots, et il est babysitté par plusieurs chevaliers qui n’oseront pas le toucher par principe. Comme tu l’as dit toi même, c’est beau les principes, et les promesses... Mais ça ne nous permettra pas de trouver Pséma. Il est temps de te demander si tu as réellement confiance en moi, ou pas.

Il se tut un instant avant de poursuivre :
- J’espère me tromper, crois moi... Mais je suis persuadé que ce Capricorne Noir ne nous dira rien de son plein gré. Je vais rester au Sanctuaire pendant quelques heures avant de partir pour Atlantis. Il faut que je panse mes blessures et que je me repose un peu. Cela te laisse le temps de réfléchir si tu désires me faire savoir que tu désapprouves cette manière de penser. Si je n’ai pas de nouvelles de toi d’ici mon départ... nous savons tous les deux ce que ça signifiera.

Son accord semblait représenter beaucoup pour Kappa, lui offrant ainsi la possibilité de partir à la recherche de celle qu'il aimait. Preuve en était le léger sourire qui venait de paraître sur son visage, des marques de joies devenues bien trop rares pour ne pas les constater. Pourtant, Shion ne parvenait cette fois à voir uniquement le côté positif de la situation et à oublier ses doutes. Certes, la mission "confiée" à Kappa pourrait peut-être conduire au retour d'un Chevalier d'Or disparu et à l'apaisement de l'esprit de son général, mais cela offrait aussi de nombreuses opportunités à Pséma pour s'en prendre à ce dernier et affaiblir encore le Sanctuaire. Avait-il dès lors pris la bonne décision? Ou avait-il reculé devant ses responsabilités en choisissant de ne pas refuser la demande de Kappa, comme la sagesse aurait pu l'y conduire. Les dés étaient jeté et seul l'avenir pourrait lui démontrer si sa décision avait été la bonne.

En tout cas, ses derniers commentaires quant à son choix de se battre seul ne semblaient avoir eu aucun impact sur la décision de Kappa, ce dernier ne remettant pas en cause sa stratégie. Il fallait espérer que ses choix étaient basés sur des plans bien définis ou non sur un aveuglement lié à sa détresse. Enfin, il avait accepté sa requête donc il se devait de lui faire confiance. Et rien ne l'empêcherait plus tard de lui envoyer des renforts s'il apprenait que le Verseau se retrouvait dans une position dangereuse. Mais pour le moment, sa seule possibilité était de faire son possible pour limiter les actions de leur principal ennemi: Pséma. Et seul leur atout enfermé dans les geôles du Sanctuaire leur permettrait peut-être d'atteindre cet objectif. S'ils parvenaient à le faire parler... une toute autre paire de manches.

Comme s'il avait lu dans ses pensées, Kappa aborda justement ce sujet. Mais pas de la manière dont l'avait espéré le Grand Pope. Le visage impassible, Shion écouta les explication de son Général au sujet des méthodes qu'il avait décidé d'employer, le laissant lentement l'amener sur un terrain des plus délicats. Les arguments de Kappa étaient loin d'être stupides, raison pour laquelle le Grand Pope ne l'interrompit pas un seul instant. Oui, le Capricorne Noir ne semblait pas être très loquace et il y avait bien peu de chances pour qu'il accepte de parler. Oui, les informations que ce dernier détenait pouvaient bien s'avérer capitales pour leur conflit face à Pséma et pour les affrontements à venir. Connaître les plans du renégat. Connaître le nombre de ses alliés. En apprendre davantage sur leurs compétences afin de se préparer au mieux à les combattre le moment venu. Combien de vies pourraient être sauvées avec un seul de ces détails.

Tentant de ne rien laisser paraître, Shion pesait intérieurement le pour et le contre de la demande cachée du Verseau. Le laisser faire ce que sa propre position ne l'autorisait à faire. Faire de son Général la lame qui frappait dans le dos tandis que lui-même usait de la parole et de la diplomatie. Demeurant toujours muré dans son silence, le Grand Pope posa son regard sur l'enfant alors que Kappa exprimait sa nécessité de se reposer avant son départ. Pourtant, ce fut la dernière phrase du Verseau qui fit finalement réagir le Représentant d'Athéna et reprendre la parole.

Attends Kappa. Je suis incapable de dire si mon "sens éthique" sauvera Athéna, le Sanctuaire, l'Humanité, ou s'il les conduira tous à leur perte. Personne ne peut le prédire, malheureusement. Néanmoins, comme je te l'ai dit, j'ai rejoint le Sanctuaire pour les idéaux et les valeurs qu'il représente. Et j'ai l'espoir que, si vous avez accepté de me nommer Grand Pope et représentant de notre Déesse, c'est parce que vous aviez vous-même confiance et espoir dans ce que je souhaitais incarner. Je ne peux donc abandonner une des valeurs que j'essaye de représenter, que les gens l'apprennent ou non.

Marquant une courte pause, comme pesant à nouveau chacun de ses mots.

Il ne s'agit nullement d'un manque de confiance à ton égard. Bien au contraire, je te remercie pour les sacrifices que tu es prêt à faire pour m'épargner et me protéger. Pour que je n'ai pas à me salir les mains. Mais si un jour, je choisis une telle voie, je serai prêt à en assumer toutes les conséquences, sans me cacher derrière les autres défenseurs d'Athéna. Mais aujourd'hui, ma décision ne change pas. Les méthodes pour faire parler le Capricorne Noir demeureront celles que j'ai choisies. Et celui qui décidera de les outrepasser devra en répondre devant moi et devant la Déesse Athéna elle-même. Et si nous subissons un échec à cause de moi, j'en assumerai là encore toutes les conséquences. Mais tu ne devrais pas te soucier de cela, Kappa. Ta mission est tout aussi importante et de nombreux dangers pèsent déjà sur toi. Pars effectuer la mission qui est la tienne et reviens nous, plus fort que jamais, avec celle qui est ton âme soeur et qui a juré de protéger le Sanctuaire et la maison du Scorpion.

Après avoir dit ce qu’il avait à dire, le chevalier des glaces fit volte face, et commença à se diriger vers l’intérieur du temple, mais la voix du Grand Pope le poussa à s’immobiliser, et se retourner. Il écouta les arguments de Shion jusqu’au bout tout en l’observant, le visage impassible. Après plusieurs secondes de silence entre les deux hommes, Kappa soupira et un léger sourire ourla à nouveau ses lèvres.
- Tu ne changeras jamais... Heureusement, d’ailleurs ! Ajouta t’il d’une voix plus chaleureuse qu’on aurait pu le croire.
Pourtant, son sourire disparut et son visage redevint grave en une fraction de seconde :
- Mais je ne suis pas sûr que tu aies bien compris mes raisons. Sans vouloir te vexer, il ne s’agit pas exactement de te protéger toi. Je te connais depuis assez longtemps pour savoir que tu n’as pas besoin d’être couvé. A travers ce choix que je t’offrais, je te proposais de protéger le symbole de pureté et de lumière que tu représentes, et dont ont besoin la plupart des chevaliers et les gens que nous avons juré de préserver du mal. C'est l'espoir que j'aspire à protéger par ces méthodes certes peu conventionnelles.

Il se tut un instant, avant de poursuivre :
- Cependant, je me doutais que tu refuserais. C’est là que notre vision des choses diffère, et c’est aussi pour ça que tu as souhaité faire de moi ton général, j’imagine. Afin d’avoir un avis différent sur la situation qui s’impose à nous et aux choix possibles pour l’affronter. Je pense que se raccrocher aux principes est une erreur, mais en fin de compte, la décision te revient. J’ai dit ce que j’avais à dire. C’est suffisant pour moi... Quoi qu’il en soit, je te remercie de me laisser rejoindre Ahina en ce moment un peu critique. Ca signifie beaucoup pour moi. Je tâcherai d’en apprendre davantage au Sanctuaire sous Marin sur Pséma si c’est possible, mais je ne te garantis rien. On se revoit à mon retour !

Le verseau sourit une dernière fois à l’ancien Bélier d’Or avant de faire demi tour. Shion avait rejeté sa demande, il n’y pouvait pas grand chose. Avec Ahina en sûreté en Atlantis et Marcus toujours en mission secrète pour retrouver la base principale de Pséma, Kappa ne se sentait pas coincé au point de devoir désobéir au Grand Pope et outrepasser cet ordre direct. A son grand soulagement. Une sission au niveau du pouvoir ne ferait qu’affaiblir le Sanctuaire, qui avait bien assez de blessures à panser comme ça. Sans parler des conséquences si Athéna désapprouvait ses choix. Cette fois, les deux hommes s’en tiraient à bon compte, mais ce ne serait peut être pas toujours le cas. La chance finit toujours par tourner... Sur cette dernière pensée, le chevalier d’Or s’immobilisa, puis lança d’une voix faible :
- J’espère que tu sais ce que tu fais, Shion... Parce que si nous n’arrivons pas à arrêter Pséma très vite... J’ai un mauvais pressentiment... Et assumer les conséquences de tes choix n'est une chose si facile à faire... se préparer à une réalité est une toute autre chose qu’avoir à y faire face. Fais moi confiance, je parle par expérience. A bientôt, mon ami. Et sois prudent !

Entrée du SSM

Si le Grand Pope s'attendait à une opposition de la part du Kappa quant à sa décision de ne pas torturer le Chevalier Noir, il n'en fut rien. Son Général n'avait certes pas la même vision des choses que lui-même dans ce genre de situation mais il avait la décence de ne pas insister davantage alors que la discussion semblait close. Shion écouta néanmoins ses différents commentaires au sujet de s'accrocher aux principes et de faire les choix qui s'imposaient parfois à eux. Un sourire las apparut sur le visage du Grand Pope alors qu'il observait le départ du Chevalier d'Or, espérant que celui-ci parviendrait à retrouver celle qu'il considérait comme son âme soeur. Une victoire qui permettrait à la fois de restaurer totalement l'esprit de son Général tout en renforçant le Sanctuaire en retrouvant un de ses principaux gardiens. Une mission qui ne pouvait échouer.

Shion porta son attention sur les derniers murmures de Kappa, se contentant de lui répondre:

Pars l'esprit tranquille mon ami et ne pense qu'à la mission qui est la tienne. Retrouve Ahina et revenez tous les deux au Sanctuaire sains et saufs. Ainsi, le premier pas vers la chute de Pséma sera assuré et le Sanctuaire de notre Déesse sera plus fort que jamais. Tu cherches à protéger un symbole de pureté et de lumière. Et bien ta victoire pourrait en constituer un des plus importants que le Sanctuaire n'ait jamais connu. Un de ceux qui perdurent bien plus longtemps qu'un simple homme. Alors sois prudent et victorieux. Il est temps de soulager ton fardeau.

Peut-être un jour devrait-il lui aussi prendre une décision difficile pour le Sanctuaire mais torturer le Capricorne Noir n'en faisait pas partie. Et le Grand Pope demeurait persuadé que sa Déesse approuverait sa décision si elle était en âge de s'exprimer. Lui et Garett étaient les seuls à avoir eu l'occasion de combattre ce dernier et eux-seuls avaient eu l'opportunité d'observer réellement le personnage, de tenter de le comprendre. Une opportunité qui ne pouvait le laisser indifférent. Telle était et demeurerait donc sa décision. D'ailleurs, peut-être ferait-il mieux d'aller voir de lui-même comment l'interrogatoire se déroulait au sein des geôles du Sanctuaire. Une fois sa Déesse en sécurité.

Le Grand Pope concentra son Cosmos au sein du Sanctuaire, constatant que le Chevalier d'Or des Gémeaux et Caedus étaient toujours présents en ces lieux. Ce dernier avait-il déjà oublié la demande qu'il lui avait faite. Concentrant son Cosmos en direction de ces deux personnes, le Grand Pope leur envoya par télépathie.

Caedus, Alistraë. Pardonnez moi de vous demander de reprendre la route alors que vous venez seulement de rentrer au Sanctuaire mais une mission requiert votre présence. Garett, Chevalier de Bronze, est parti en Russie pour retrouver une des armes de la Balance mais nous n'avons plus aucune nouvelle de sa part depuis. Cette situation m'inquiète. Peut-être la recherche de l'arme est-elle plus difficile que prévue mais je souhaiterais que vous le retrouviez. Voyez ce qu'il se passe et ramenez le avec l'arme de la Balance, si possible. Nous avons besoin de tous nos effectifs en ces temps difficiles alors ne tardez pas. Si vous rencontrez des problèmes inattendus, comme des Chevaliers Noirs de Pséma, n'hésitez pas à venir m'en informer. Je ne souhaite pas que vous vous mettiez en danger inutilement. Soyez prudents. Si vous croisez des Guerriers Asgardiens, remerciez les de la part du Sanctuaire pour leur aide lors de la reprise de celui-ci. Je me déplacerai moi-même pour les remercier quand la situation le permettra.

Son attention se reporta alors sur d'autres présences qu'il avait ressenties à l'entrée du Sanctuaire. Des Spectres d'Hadès? Encore? Que leur voulaient-ils cette fois? Étaient-ils là pour discuter des plans de Pséma ou pour leur nuire à nouveau suite à la reprise du Sanctuaire. Quelles que puissent être leurs raisons, ils semblaient avoir déjà trouvé un interlocuteur de choix puisque le Cosmos de Corell du Lion pouvait être ressenti au même endroit. Tant qu'il ne faisait pas appel à lui, il n'y avait pas de raison qu'il aille le rejoindre. Jetant un regard à l'enfant toujours endormie dans ses bras, le Grand Pope reprit son avancée en direction du Temple du Taureau.

Temple du Taureau

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