Voilà maintenant une heure que T'Sio restait là, sans bouger, assis sur les marches du Temple du Bélier, n'osant pénétrer plus avant dans un lieu aussi sacré. Son Armure était sous sa forme de totem, à l'apparence d'une Grue, est brillé d'un éclat argenté sous la lumière des étoiles. Il faisait frais en cette heure avancée de la nuit, et il soufflait une légère brise qui le fit frissonner. Il essayait de mettre de l'ordre dans ses idées, éliminant les choses superflues qu'il avait vu et entendu pour ne se concentrer que sur l'essentiel, du moins dans un premier temps.

Le garde qui l'avait conduit ici ne fut que peu explicite sur le rôle qu'il devrait tenir en tant que gardien de la Première Maison. Il lui avait seulement dit d'empêcher d'entrer quiconque n'appartenait pas au Sanctuaire, bien que T'Sio se doutait que cela impliqué plus que de faire office de simple soldat en faction devant une porte. Il n'était en réalité rien d'autre que la première ligne de défense du Sanctuaire en cas d'attaque. Une telle pensée le fit légèrement frémir. Il ne savait pas si il serait de taille à affronter n'importe quelle menace qui frapperait le domaine d'Athéna, surtout si cette menace attaquait avec autant de force qu'à Rodorio.

Son bras droit, pourtant brisé plusieurs années plus tôt par un Spectre, se mit à trembloter, comme un signe avant coureur d'un combat à venir. Bien que son bras était guéri depuis longtemps, jamais cette intuition ne l'avait trahi par le passé, et il s'en félicitait. Mais pour la première fois, il souhaitait sincèrement se tromper. Ses pensées se tournèrent vers Jun. Il s'en voulait de plus en plus de l'avoir laisser seul dans ce petit village à quelques lieux de Rodorio. Il ne voulait pas l'exposer inutilement au danger, mais là savoir loin de lui lui faisait précisément penser le contraire. Il savait qu'elle était vulnérable là où elle se trouvait, et jamais il ne se pardonnerait s'il lui arrivait malheur.

Il se leva, et se mit à faire les cent pas en haut des marches du Temple, fixant à chaque fois son Armure quand il repassait devant elle. Il devait trouver un moyen de la faire venir ici. Si son intuition se confirmait, il ne pourrait se battre la sachant trop loin de lui. Elle représentait tellement pour lui. Jun était ce qui l'avait fait accepter sa destinée de Chevalier d'Athéna, elle était la raison pour laquelle il était prêt à se battre, pour ne pas dire la seule et l'unique. Un tel raisonnement égoïste n'avait pas leu d'être dans l'esprit d'un guerrier sacré mais c'était sa façon à lui d'équilibrer les choses. S'il devait partir en guerre, autant que ce soit pour défendre une chose lui tenant à cœur. Jun était son monde, et sans elle, il s’écroulerait.

Penser ainsi à sa bien-aimée l'aida à se calmer. T'Sio finit par venir se rasseoir sur les marches du Temple du Bélier, non sans avoir prit soin de se servir à boire. Il ferma les yeux et se concentra sur les choses, les sensations qui l'entourait. Il sentait, plus haut dans le Sanctuaire, plusieurs Cosmos d'une puissance bien supérieure à la sienne, sûrement celle de Chevaliers d'Or. Il ne saurait dire combien il était, ni même s'ils venaient vers lui, ou s'ils s'éloignaient de la Première Maison. A part eux, il ne ressentait rien d'autres que la faible présence des gardes du Sanctuaire, vacillante comme la flamme d'une bougie.

Il rouvrit les yeux, et se mit à observait plus en détail là où il se trouvait. Au-delà de la beauté architecturale du lieu, il se concentrait sur toutes les imperfections de la pierre, qu'elles soient le fait des ravages du temps, ou de quelques batailles oubliées, perdues dans les limbes du passé. Le sol portait les marques de tous les Chevaliers l'ayant traversé, comme autant de souvenirs de ses gardiens précédents. Les murs étaient parsemés d'éraflures et de griffures de toutes sortes, parcourant la surface pierreuse comme les racines d'un arbre s'enfonçaient dans la terre. Ce Temple silencieux était plein de vie, de souvenirs, chaque trace faisant partie de sa mémoire, de son histoire. Être le gardien d'un tel lieu était une chose que T'Sio n'aurait jamais envisagé par le passé.

Le temps se rafraîchissait de plus en plus à mesure que les minutes passaient, et le vent se fit plus frais encore. Une fine pluie commençait à tomber, alors que le ciel nocturne se voilait de nuages noir. Il serrait entre ses doigts le pendentif de jade de sa mère. Et son bras droit se remit à trembler...

Le son d'une voix venant de son dos le fit légèrement sursauter. Il se pensait seul dans le Temple du Bélier, et le fait qu'il n'est pas senti une autre présence que la sienne était une nouvelle preuve de son manque cruel d'expérience. Néanmoins, aussi bien le son de la voix de l'inconnu que son Cosmos ne montraient aucune trace d'animosité ou de colère, aussi quand T'Sio se retourna pour répondre au dénommer Kyros, il le fit de la plus courtoise des manières, tout en s'inclinant.

''Enchanté Kyros. Je me nomme T'Sio, Chevalier d'Argent de la Grue.''

L'hindou pencha quelque peu la tête sur le côté en signe de surprise en entendant que le Saint du Cygne était également en charge de la garde de la Première Maison, qui plus est, nommé par rien de moins qu'un Chevalier d'Or.

''Je suis l'actuel gardien du Temple du Bélier. Je me trouvais à Rodorio en compagnie de Kenshiro du Dragon, Kronos de l'Horloge, Mattheus d'Adamantine et Eidolon quand un garde du Sanctuaire est venu exprès pour demander si un Chevalier pouvait se porter garant du Temple. Je suis étonné que nous ayons été nommé tous deux gardiens ! ''

T'Sio se servit une nouvelle fois à boire, non sans proposer à Kyros s'il désirait un verre de vin. Il trouvait relativement étrange que l'information n'est pas circulée au Sanctuaire sur le fait qu'il venait de se porter volontaire pour garder le Temple. Le Saint du Cygne était alors sans doute là le temps que quelqu'un assure cette charge jusqu'au retour de Shion. Mais d'un autre côté, ne pas se retrouver seul n'était pas lui déplaire. Le Sanctuaire et le calme qui y régnait avait quelque chose de presque inquiétant pour quelqu'un venant d'y arriver. De plus, ce qu'il semblait se passer à la Statue de la Déesse n'était pas pour le rassurer. Il avait bien tenté d'interroger quelques gardes en patrouille, mais ces derniers ne lui avaient donné nulle réponse.

''Dis-moi, sais-tu ce qu'il se passe en haut ? Quelque chose me dérange dans cette énorme concentration de Cosmos. Je ne les ressens pas très bien, mais cela ne me dis rien qui vaille. A Rodorio, Kenshiro m'a furtivement parlé d'une deuxième Athéna, sans trop s'étendre sur le sujet. Peut-être peux-tu m'en dire un peu plus ?''

Attendant la réponse de Kyros, T'Sio se rassit en haut des marches du Temple du Bélier, appréciant un petit courant d'air frais qui passé entre les colonnes de pierre de la Première Maison. La pluie tombait toujours faiblement, et le contact de l'eau glacée sur son bras droit lui faisait du bien. Seule sa main continuait encore de trembler.

La surprise qui se lisait sur le visage de T'Sio trouvé écho sur celui de Kyros. Les deux Chevaliers étaient aussi étonnés l'un que l'autre de se trouvait au Temple du Bélier avec la même mission. Deux pensées naquirent dans l'esprit du Saint de la Grue : soit ils étaient là tous les deux pour combler le déficit de puissance laissé par l’absence de Shion, soit ce qui allait s'abattre sur le Sanctuaire était si dangereux que deux Chevaliers étaient nécessaires pour assurer la garde de la Première Maison. Quelle que soit la raison, aucune des deux n'étaient rassurantes.

Alors que T'Sio se rasseyait sur la dernière marche du Temple, reprenant la même position d'avant l'arrivée du Chevalier du Cygne, il écoutait Kyros lui expliquer avec luxe de détails tout ce qu'il savait au sujet des deux Athéna. Et la situation était tout ce qui avait de plus critique. Ses forces divisées, deux Déesses qui semaient le trouble dans le cœur des Chevaliers...Le Sanctuaire était terriblement vulnérable. A cette pensée, son bras droit se remit à trembler, plus violemment qu'auparavant. Il chercha à le dissimuler aux yeux de Kyros en le laissant tomber le long de son corps.

''Comment serons-nous quelle Athéna il nous faudra suivre ?''

Le Saint de Bronze continua encore quelques instants, livrant à T'Sio des pensées plus personnelles quant à la situation. Il semblait inquiet. Et le mot était faible. Le Chevalier de la Grue n'était arrivé au domaine d'Athéna qu'il y a peu, et il ne connaissait que peu de guerriers. Kyros avait sans doute des amis, des proches, des frères d'arme que les événements récents avaient sans doute éloigné, divisé. Pour sa part, T'Sio se demandait s'il reverrait Jun un jour. Il regrettait de plus en plus de l'avoir laissé seule dans un village inconnu.

''Merci à toi de m'avoir éclairé. Et si je peux t'aider d'une quelconque manière, dis-le-moi. Je ferai tout ce que je peux.''

T'Sio réfléchissait. Que se passerait-il si les responsables du massacre de Rodorio lançaient une nouvelle attaque ? Il pensait à Kenshiro, Mattheus, Kronos et Eidolon. Les quatre Chevaliers qui s'occupaient encore des victimes au village seraient les premiers à subir les foudres des Black Saints si ces derniers revenaient. Mais ils ne sont que trop peu nombreux, et le Sanctuaire ne peut se permettre de perdre d'autres de ses guerriers en ces temps de malheurs.

''Crois-tu que nous serons suffisamment nombreux si nous étions de nouveau attaqués ? Il n'y a que peu de Chevaliers d'Or au Sanctuaire, et ceux présents ne semblent pas disposés à le défendre. Je ressens quelque chose de très faible venant de la Statue d'Athéna, mais ce n'est que tension et colère. Je ne souhaite pas non plus qu'une guerre fratricide éclate, mais j'ai bien peur que si un conflit doit éclater, il commencera ici-même...''

Le Chevalier au teint hâlé n'avait ressenti un tel trouble depuis la caverne où il avait reçu son armure. L’appréhension des combats à venir, la crainte de mourir au combat, sans avoir revu Jun une dernière fois. Comme en réponse à son inquiétude grandissante, le pendentif de jade qu'il portait autour du coup luit faiblement dans l'obscurité, et il sentit une douce chaleur se répandre en lui. Malgré la fraîcheur du vent et de la pluie, T'Sio commençait à se sentir un peu mieux. Il eut même un très léger sourire. Puis il reporta son attention sur Kyros. Ce dernier restait tourné vers le haut du Sanctuaire, la même douleur sur le visage.

''Tu connais l'un des Chevaliers présents là-haut ? Je n'en ai rencontré aucun pour l'instant.''

Il attendit la réponse du Saint de Bronze, en portant à ses lèvres le verre de vin qu'il s'était servi quelques minutes plus tôt. Le doux nectar sucré de ce breuvage de Grèce commençait à apaiser un peu ses sens, mais il ne put se retenir de faire part d'une autre de ses craintes à Kyros.

''Si nous devons faire la guerre aux Chevaliers d'Or, je ne pense pas que nous aurons la moindre chance.''

Son fatalisme finissait toujours par revenir à un moment où à un autre, mais jamais au bon. Une guerre allait éclater, de cela, T'Sio commençait à en être sûr. Rester à savoir dans quel camp il se trouverait lorsqu'elle débuterait.

La première réponse de Kyros témoignait de la même ferveur et de la même force de convictions qui faisaient la puissance des Chevaliers d'Athéna. Même si T'Sio pouvait ressentir tout cela dans la voix du Saint du Cygne, son visage était marqué par une inquiétude certaine, et son regard tourné vers le sommet du Sanctuaire. Le Chevalier de la Grue eut un petit sourire triste en entendant les paroles de Kyros.

''J'espère ressentir un jour la même ferveur que toi ! Et qu'une guerre fratricide n'éclatera pas. Mais je dois bien t'avouer que, depuis mon arrivée ici, tout est allé très vite. La mise à sac de Rodorio, tous ces gens massacrés...Je ne m'attendais pas à ça.''

Kyros ne lui répondit que d'un signe affirmatif de la tête quand T'Sio lui demanda s'il connaissait l'un des Chevaliers d'Or présents à la Statue d'Athéna. Ce que semblait ressentir le Saint du Cygne le poussa à ne pas insister. Mais le Chevalier de Bronze se tourna vers lui quand T'Sio lui fit par de son inquiétude quant à un possible affrontement avec les Gardiens des Maisons du Zodiaque. Le Cygne fit une nouvelle preuve de force de conviction, ses paroles étant pleines de confiance, en ses capacités, mais également confiance dans ses amis, ses frères d'arme.

''Je n'ai connu qu'un combat depuis que j'ai revêtu cette armure, je n'ai pas l'expérience du combat, et je tremble rien qu'à l'idée de me retrouver en face d'un adversaire dont la seule motivation sera de voir mon cadavre brisé à ses pieds. Et je ne sais pas si je suis prêt à mourir pour défendre un camp désuni.''

A peine ses mots avaient-ils franchi ses lèvres, que T'Sio les regrettait déjà. Il montrait à Kyros toute une facette de lui qu'il n'aimait pas : quelqu'un de défaitiste, de fataliste. Son maître n'avait eu de cesse durant sa formation de lui reprocher cet aspect de sa personnalité, et bien qu'il s'était obligé à le dissimuler, il ne pouvait l’empêcher de refaire surface.

''Je suis désolé. Ces paroles ne sont pas dignes d'un Chevalier. Mais je ne pensais pas trouver autant de désespoir en arrivant au Sanctuaire.''

T'Sio replongea dans le silence quelques instants, appréciant la douceur d'un petit vent chaud qui passa entre les piliers du Temple du Bélier, alors que la pluie n'avait de cesse de tomber au dehors.

''Athéna...''

Ces quelques mots n'étaient destinés qu'à lui, mais il se doutait bien que Kyros avait dû les entendre. Le Saint de la Grue tourna la tête vers Rodorio, se demandant comment s'en sortaient Kenshiro, Mattheus, Kronos et Eidolon. Il pensait Iolé, la jeune femme qu'il avait secouru. Puis, son esprit se tourna vers Jun. La jeune femme lui manquait terriblement. La savoir loin lui pesait de plus en plus à mesure que le temps s'envolait.

''Crois-tu...Qu'il serait possible que je fasse venir...Quelqu'un au Sanctuaire ?''

Attendant la réponse de Kyros, T'Sio finit de boire son verre de vin, et s'en servi un deuxième. Un groupe de soldats passa au loin, chargé de provisions, médicaments, et autres pour les survivants de Rodorio. Comment se pouvait-il qu'un lieu aussi sacré ne soit que synonyme de mort et de désolation ? Le Chevalier de la Grue ferma les yeux, cherchant un moyen de chasser toutes ses sombres pensées de son esprit.

Les paroles de Kyros lui réchauffèrent quelque peu le cœur. T'Sio savait que de telles pensées venant d'un Chevalier d'Argent d'Athéna était indigne. Il pensait à la honte qu'aurait ressenti sa mère et son père s'ils l'avaient entendu tenir de tel propos. Sa confiance revenait, et son esprit se réaffirmait. Il avait de nouveau foi en ses convictions.

''Tu as raison. Qui défendra le Sanctuaire si nous ne sommes pas capable de le faire ?''

Cette question n'appelait nulle réponse de la part du Saint du Cygne, et T'Sio n'en attendait pas. Il restât quelques instants dans le silence quand Kyros lui répondit à sa dernière question. Le Chevalier de Bronze l'interrogea et son étonnement quant à la demande du Saint de la Grue était palpable. Aussi, T'Sio choisit de ne pas répondre. Puis il observa Kyros faire les cent pas, n'ayant de cesse de jeter des regards vers le sommet du Sanctuaire, vers la Statue d'Athéna, là où se trouvaient la Déesse et les Chevaliers d'Or. Il savait que le Saint de Bronze était lié d'une manière ou d'une autre à l'un des Gardiens des Temples du Zodiaque. Et il ne pouvait décemment pas le retenir ici avec lui. Puis Kyros lui demanda de l'accompagner.

Malgré son étonnement, T'Sio ne mit pas longtemps à accepter. Il voyait en la demande du Chevalier comme une échappatoire, qui lui permettra de mettre de côté toutes ses pensées les plus sombres.

''Je viens.''

Alors que Kyros commençait à prendre la route de la Statue d'Athéna, T'Sio interpella un garde en patrouille, lui demandant de venir les prévenir en cas de soucis, bien qu'il pensait que son cosmos serait sûrement d'une meilleure assistance en cas de danger menaçant directement le Sanctuaire. Puis il rejoignit Kyros sur le chemin. Il n'osait parler, se demandant ce qui les attendaient au sommet. Une certaine inquiétude montait dans sa poitrine, mais tout comme Kyros, il avait soif de réponses. Et il rencontrerait enfin sa Déesse tutélaire. Il serait brièvement le pendentif en jade autour de son cou, souvenir de sa mère. Il se retint de se retourner, de peur de perdre à nouveau courage et de courir rejoindre sa bien-aimée.

''Jun... Je t'aime...''

Dans un dernier murmure, il entama son ascension à son tour, le Chevalier du Cygne à ses côtés.


Statue d'Athéna